Yoshitoki Oima n'aime pas les petites cases, pas celles en tout cas dans lesquelles on voudrait enfermer un manga. Elle l'a d'abord prouvé avec l'atypique et bouleversant A Silent Voice, un manga sur le harcèlement scolaire, sur la culpabilité, qui mettait en scène une jeune fille sourde et le petit garçon, devenu adolescent, qui lui avait fait vivre un enfer des années plus tôt.
Elle revient avec To Your Eternity, un titre très différent de sa première série, mais tout aussi différent de tout ce qu'on pourrait imaginer en ouvrant ce manga.
Au commencement... "Il" était une sphère...
FUMETSU NO ANATA E © Yoshitoki Oima / Kodansha Ltd.
Le narrateur, dont nous ignorons tout, lance une sphère sur Terre. L'objet a la capacité de se métamorphoser en copiant ce qu'il croise. On suit son cheminement. De sphère à pierre, de pierre à loup.... et ce n'est là que le début de ses étranges aventures.
Le chemin.
Difficile de deviner si la mangaka a une idée précise de ce qu'elle va nous raconter, ou si, à la manière du narrateur, elle débute son histoire et observe, seulement quelques pas avant nous, la manière dont elle va évoluer. C'est un récit captivant et perturbant à la fois. Yoshitoki Oima nous place comme spectateur impuissant de l'histoire qui se déroule sous nos yeux.
Il y a quelque chose de désespéré dans ce récit, comme si l'autrice montrait, entre les lignes, à quel point rien n'a de sens. La sphère n'est pas là pour juger, pour éprouver de sentiment, elle fait sien l'instinct de celui qu'elle copie et avance, un pas après l'autre, dans un monde fantastique et pourtant incroyablement réaliste par son absurdité. La narration suit l'avancée de la pierre, nous laissant cependant le temps de faire connaissance avec les personnages qui croisent sa route. Ils sont souvent attachants, emplis d'une profonde rage de vivre malgré les drames qui s'amoncellent sur leur chemin.
To Your Eternity est véritablement une expérience de lecture. D'abord, il y a cette histoire inattendue, étrange, qui demande que l'on laisse nos habitudes de lecteurs au placard pour totalement se laisser embarquer. Mais ce récit est aussi comme une métaphore, le narrateur pose sa sphère sur Terre et la regarde vivre, comme un auteur pose son personnage dans le monde qu'il lui a imaginé, et le regarde évoluer, sans avoir totalement de prise sur lui.
Graphiquement, le trait de la dessinatrice est encore plus maitrisé et fin que dans A Silent Voice, on apprécie les décors que traversent la sphère (qui n'est plus une sphère), nature sauvage et majestueuse. Ses personnages sont très touchants, plein de fragilité mais aussi de force. Les émotions qui traversent leur visage apportent encore plus de profondeur au récit. Les planches sont chargées mais fluides, et malgré l'étrangeté de l'histoire, on tourne les pages à toute vitesse et on se régale.
To your eternity n'est pas un manga comme les autres. Il dévoile une nouvelle facette, toute aussi surprenante, du grand talent de Yoshitoki Oima. Difficile de ne pas être séduit par cet étrange voyage.