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par Alfro - le 4/02/2014
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par Alfro - le 4/02/2014

Portrait de Légende #7 : Bill Watterson

Cela fait quasiment vingt ans que Bill Watterson a arrêté sa carrière dans le monde de la bande dessinée, pourtant ce dernier ne l'a pas oublié pour autant. En effet, l'auteur américain vient d'être gratifié du Grand Prix de la ville d'Angoulême, récompensant l'ensemble de sa carrière.

Carrière assez étrange par ailleurs, qui valait bien le coup de revenir le temps d'un portrait sur un auteur atypique dans le paysage du 9ème Art. Ou comment l'on peut devenir un artiste marquant dans son domaine avec une seule véritable œuvre au compteur.

Une enfance américaine

Au-delà de l'humour indéniable que recèle l'œuvre de Bill Watterson, il y a un élément marqueur qu'est cette espèce d'incarnation de l'esprit américain de ces années. Faut dire que l'enfance de l'artiste qui est né en 1965 est un cas d'école de cinéma, il ressemble à tous ces enfants en tricycles qui déambulaient dans les pellicules des films hollywoodiens dès les années 50. Né dans la capitale des États-Unis, il déménage très rapidement dans une petite ville de l'Ohio, dans la banlieue de l'ouvrière Cleveland. Plus typiquement américain, c'est difficile. Si l'on rajoute à cela que son père est un avocat du commerce et que sa mère est une conseillère municipale qui a souhaité déménager dans l'État du Midwest pour que ses enfants aient un environnement sain pour grandir, on tient le parfait cliché du American Way of Life que la télévision nous a susurré toute notre enfance.

Cette enfance qui sent la tarte aux pommes qui refroidit au bord de la fenêtre, Bill Watterson va en faire son matériau, la base de son imaginaire qui s'ouvrira en partant du quotidien. Pour l'heure, le petit Bill se découvre très tôt une passion pour le dessin, il s'en sert dès le début comme son terrain d'expression. Ainsi, il dessine pour le journal de son lycée ainsi que pour celui de sa petite communauté. C'est d'ailleurs au lycée qu'il rencontrera sa future femme, la fille du vice-proviseur. Il tartine allégrement question image d'Épinal, on dirait le modèle de Richie Cunningham. Il continue d'ailleurs en allant au Kenyon College, petite université pas loin de papa et maman. Là, il y étudie la Science Politique tout en continuant sa passion en dessinant dans le journal de la fac.

C'est d'ailleurs l'association des deux qui va déterminer sa première carrière, puisqu'il devient caricaturiste politique pour le compte du Cincinnati Post. Si jusque-là tout se semble se dérouler comme un scénario sans idées, l'anicroche arrive et Watterson est viré au bout de six mois. La tuile. Surtout qu'il va mettre un moment à s'en remettre. Le temps suffisant pour repenser à la direction qu'il a prise et pour déterminer que la carrière de caricaturiste n'est peut-être pas faite pour lui. Il va alors se remettre à faire de la bande dessinée, de la vraie. Et puis, il va se mettre à l'envoyer aux quotidiens environnants. Jusqu'à ce que, cinq ans après s'être retrouvé au chômage, l'une d'elle soit acceptée par Universal Press Syndicate.

Une œuvre

Cette série de comic-strips qui se voit pour la première fois publiée en 1985 n'est nulle autre que Calvin et Hobbes. Seule et unique œuvre de Bill Watterson dans le domaine de la bande dessinée. Elle est le fruit d'une enfance trop parfaite, de ce conte de fée vécu éveillé, cette publicité pour la réalité. Elle nous dévoile l'histoire d'un enfant, Calvin, turbulent, solitaire et surtout très imaginatif. Tellement qu'il fait de son tigre en peluche, Hobbes, son compagnon d'aventures et un animal féroce quoique philosophe. Watterson est parti de son enfance en plaçant l'histoire dans un environnement proche de celui qui l'a vu grandir, aux relents de Midwest, et y place une histoire qui jongle entre nostalgie de l'enfance et voyage dans le merveilleux.

D'abord présentée comme une œuvre pour enfants, Calvin et Hobbes intéresse très rapidement un lectorat plus adulte, qui y voit toute la justesse d'écriture et le trait délicat et souvent inventif de Watterson. Il s'amuse à alterner entre les points de vue pour montrer le décalage entre les univers fantasmagoriques que s'invente Calvin et une vue de l'extérieur qui montre souvent un tigre en peluche bringuebalée sans sommation par un gnome hyperactif. D'ailleurs, à la duplicité de point de vue se rajoute celle du genre. On hésite sans cesse entre restitution du quotidien ou fable merveilleuse, cela induit par la véritable nature du tigre qui reste floue. Peluche ou animal anthropomorphe qui est souvent bien plus sage que son "maître".

Le succès de cette série va être retentissant. En moins d'un an, le nombre de publications qui la diffuse a doublé passant à plus de trois cents, il gagne un premier Reuben Award, le grand prix des cartoonistes. Il va très vite mettre les États-Unis à ses pieds en étant édité dans tous les États. Bientôt, c'est l'Europe puis le reste du monde qui le découvre. En 1991, près de 2000 journaux ont un comic strip de Bill Watterson qui parait dans leurs pages. C'est l'année où le Vieux Continent va découvrir ce comic-strip d'un nouveau genre et aussitôt le récompenser. D'un prix en Espagne, puis d'un Alph'Art à Angoulême.

Devant ce succès imposant, Watterson s'accorde deux pauses de quelques mois en 1991 et 1994. Quand on voit que c'est un cas rare qu'un cartooniste prenne des pauses, on se dit quand même que les gars doivent tenir le coup. Quoiqu'il en soit, en revenant de ces moments de réflexion, il va imposer qu'on revienne au format à l'italienne (en paysage) qui permet que le strip prenne plus de place dans la page. Les éditions en album suivront désormais le mouvement. De toute façon, à cette époque, personne ne pouvait vraiment dire non, trop craintif de voir la poule aux œufs d'or prendre la poudre d'escampette. Pourtant, après avoir vendu près de trente millions d'albums dans le monde, il va prendre sa retraite de la BD peu de temps après, en 1995.

Going Up the Country

Bill Watterson est un homme de convictions. Ce genre de figure inflexible qui sait sentir le vent. Une figure de Western presque. Mais avec une petite moustache et un tricot de laine. Ainsi, il sent qu'après dix ans consacrés entièrement à son œuvre, il n'a plus les mêmes ressources d'inventivité, que les nouvelles idées se sont taries. La muse partie, l'imagination envolée, Watterson quitte tout et retourne à Chagrin Falls, la ville de son enfance, toujours accompagné de sa femme. Celle du lycée. Depuis, il se consacre uniquement à peindre des paysages fait des ocres qui parcourent les immenses champs de l'Ohio. Il a tenu sa parole et sa dernière œuvre arriva en France en 2005.

S'il a fait preuve d'une intégrité toute particulière quand il a décidé de mettre un terme à sa carrière, il en a fait tout autant quand il s'est battu pour les droits de sa série. Ne désirant pas que son œuvre devienne une source de merchandising et s'élargisse comme un produit de consommation à travers des produits dérivés qui auraient forcément envahi les rayons partout autour du monde, il s'est confronté à son éditeur pour récupérer ses droits d'auteur. Ce qu'il fit en les rachetant la Universal Press Syndicate. Depuis, il en contrôle scrupuleusement l'utilisation, en témoigne l'édition Française fabuleuse de son intégrale par les éditions Hors Collection, désirant laisser son œuvre parler par l'Art.

Cela fait donc pratiquement vingt ans que Calvin et Hobbes se sont tus, ne s'exprimant qu'à travers les nombreuses rééditions qui continuent de paraître. Pourtant, leur auteur vient de recevoir le Grand Prix de la Ville d'Angoulême. Le dernier américain qui avait assuré la présidence du festival, Art Spiegelman, n'avait pas eu à se faire un tour de rein pendant son mandat, ce n'est pas pour autant que l'on peut compter sur la présence de Bill Watterson. Il s'est tenu à sa promesse de se tenir à l'écart du monde de la bande dessinée. Mais si jamais. Si jamais il décidait d'enfin sortir de son mutisme, quel retentissement s'il faisait le déplacement jusqu'en charente en 2015 !

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