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par Arno Kikoo - le 16/12/2017
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par Arno Kikoo - le 16/12/2017

Thorgal en 2017 : à la rencontre d'une saga quarantenaire

Vous l'aurez peut-être constaté sur 9eme Art cette semaine (peut-être parce qu'on vous propose d'en découvrir le premier tome ?), Thorgal, l'une des grandes figures de la bande-dessinée franco-belge, fête ses quarante ans. A cet égard, Le Lombard, qui a vécu les premiers pas du héros (pas vraiment) viking en 1977, propose un artbook qui compile un très bel ensemble de travaux de son artiste principal, Grzegorz Rosinski. De notre côté, on vous propose ce dossier qui vise à remettre en valeur une saga qui pourrait souffrir de quelques clichés.

On rentre en effet facilement Thorgal dans la catégorie des "BD à papa", de celles qui ont orné les bibliothèques de nos parents durant notre jeunesse. Une apellation douce-amère, qui renvoie tant à un côté nostalgique qu'à un effet vieillot, démodé. Alors que pourtant, Thorgal est non seulement culte dans le paysage de la BD, mais continue d'être publié. Si ce n'est plus sous les commandes de son premier scénariste, Jean Van Hamme (XIII, Largo Winch), il y a pas mal de choses à raconter qui font que découvrir le personnage et son univers en 2017, c'est toujours pertinent.

Bien entendu, le but de ce papier n'est pas de vous proposer un résumé encyclopédique de l'univers (d'autres sites et forums le feront bien mieux que moi) ou d'enfoncer des portes ouvertes (oui, c'est moins bien depuis le départ de Van Hamme). Simplement de regarder Thorgal en 2017, et vous partager certains aspects qui font que le personnage pourrait vous intéresser. 

Pour déterminer ce qui fait le sel du Thorgal de Van Hamme et Rosinski, reprenons au départ. Créé en 1977 et pré-publié dans les pages du Journal de Tintin (périodique aujourd'hui disparu), Thorgal Aegirsson est un homme simple, aux valeurs morales fortes et aux capacités physiques exceptionnelles. Un homme assez extra-ordinaire, qui va d'ailleurs vivre des aventures extra-ordinaires, alors que ce dernier n'a qu'une seule envie, celle d'être tranquille. Rejeté par son statut de batard étant jeune (il a été retrouvé abandonné sur un curieux radeau) par les Vikings qui l'ont élevé, Thorgal n'a d'autre souhait que de vivre avec sa femme, la douce Aaricia, et d'assurer ce qu'il peut pour la famille qu'il construira avec elle. C'est cette apparente simplicité, et l'universalité de ses motivations (qui n'a pas envie d'être juste tranquille avec les personnes qu'on aime ?) qui font de Thorgal un personnage très vite charismatique. 

Un mélange de tons vivant

Puisant en premier lieu dans ses inspirations nordiques, Thorgal se veut un récit d'aventures qui n'hésite pas à brasser tout un tas d'influences et de genres, apportant très vite une réelle diversité dans ces tons. Ainsi, Van Hamme utilise de la mythologie nordique pour distiller des tons de fantasy à son récit, alors que par d'autres moments il restera plus terre-à-terre. A d'autres endroits il partira plutôt dans un fantastique presque cosmique, voire dans le huis clos horrifique (l'excellent tome 8 "Alinoe"), mais ce qui apporte le plus à la saga, ce sont les touches de science-fiction. Ce ne sera pas une surprise pour les habitués de la saga, mais pour ceux qui n'y ont pas touché, on n'en dira pas plus, sinon que Thorgal n'est pas surnommé "le fils des étoiles" pour rien.

Ainsi Van Hamme réussit à apporter quelques passages plus, disons, technologiques, ou d'autres qui abordent carrément le voyage dans le temps (là aussi, le tome 15 "Le maître des montagnes" et le 21 "La couronne d'Ogotaï", deux bijoux) - sans pour autant que l'ensemble n'en soit pas digeste. Parce que le scénariste ne fait pas non plus dans la démesure, et qu'il manie son dosage et sa diversité à chaque album. Si certaines ambiances restent présentes la plupart du temps, notamment le côté aventureux, on retrouve pour chaque album un ton assez particulier, ce qui fait que chacun réussit à être différent des autres (bien que certains se fassent écho, mais c'est tout leur intérêt). De plus, Van Hamme n'hésite pas à mettre volontairement de côté certains personnages (et même Thorgal) pour proposer des aventures qui se concentrent sur les membres de sa famille, que ce soit Aaricia, son fils Jolan, ou par petites équipes.

Les tons divers sont également apportés par les voyages que Thorgal fait, puisque Van Hamme et Rosinski ne le font que très peu rester au même endroit. Aux contrées enneigées du Nord se succèdent des paysages boisés plus tempérés, ou d'autres ambiances bien plus exotiques, qu'elles soient d'inspirations sud-américaines (le "Cycle de Qâ"), grecques ("Arachnea") ou arabiques (sur les derniers tomes). Une diversité qui permet également à Rosinski de se faire plaisir, puisque les planches de l'artistes restent une qualité à souligner sur l'ensemble de la saga.

Une structure narrative qui rappelle les comics

A la relecture de l'ensemble de la saga, on constate que Thorgal propose une structure dans ses histoires qui ne sera pas sans rappeler nos comicbooks venus d'Amérique. Les histoires sont pour la plupart regroupées en "cycles" généralement de l'odre de deux à trois albums, qu'on apparentera aux fameuses arches narratives ou story arcs de nos comicbooks. A l'inverse, d'autres albums plus solitaire seront plus facilement considérés comme des one-shots, et notamment deux albums de type "origin story" (le 7 "L'enfant des Etoiles" et le 14 "Aaricia") qui viennent se glisser entre deux cycles, pour marquer un temps de pause si on lit les albums dans leur ordre de parution.

L'autre aspect marquant est que la saga de Van Hamme inscrit une véritable continuité. Le personnage de Thorgal évolue, vieillit, et surtout : sa famille s'agrandit. Alors que lui et Aaricia souhaitent se marier dans leur premier tome, le voila père de deux enfants, Jolan et Louve, une vingtaine d'albums plus tard. Et les histoires font intervenir des personnages récurrents, dont Kriss de Valnor est sans aucun doute le plus important. Une mercenaire très forte de caractère dont les actions n'ont de cesse de nuire à Thorgal et ses proches, mais qui ne verse pas non plus dans un stéréotype d'ennemi juré qui la rendrait bien moins charismatique. D'autres protagonistes font aussi des apparitions marquées, en lien avec les légendes nordiques ou le passé de Thorgal, et on se plaît surtout à voir que Van Hamme porte attention aux détails de ses histoires pour les ré-utiliser de façon faussement innocente quelques albums plus loin. Sans surprise, les changements de status quo sont également à prévoir, avec notamment toute une période où Thorgal est privé de sa mémoire. Une façon comme une autre de faire une sorte de relaunch, mais sans passer par le #1.

Pour autant, et à l'inverse de certains comics pour lesquels la continuité est importante, chaque album réussit à se lire séparément, les histoires arrivant dans le format classique de 48 pages à proposer un début et une fin (pas de cliffhanger, donc). Et à quelque exceptions près, il y a toujours une certaine ellipse temporelle entre la fin d'un album et le début du suivant. Un double avantage donc, puisque le lecteur qui passe par là peut piocher un tome au hasard et profiter d'une aventure complète ; alors que le lecteur fidèle, lui, est récompensé avec un ensemble bien plus global et une lecture enrichie par la connaissance de ce qui s'est passé avant.

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Thorgal sous l'ère Van Hamme, c'est un ensemble de 29 albums (le dernier ayant été publié en 2006) qui constituent donc presque autant de portes d'entrée à cet univers. Et qu'à titre personnel, dont je vous recommande la lecture. Le scénariste a par la suite laissé Rosinski continuer de travailler sur le personnage, mais la suite des histoires va emmener Thorgal sur un tout autre terrain. Tant dans ses récits, son ton, que dans sa façon d'être publiée.

 

En 2010, sous l'initiative conjointe de Yves Sente, qui reprend le scénario de Thorgal (ayant été choisi lui-même par Van Hamme) et des éditions Le LombardThorgal n'est plus qu'une seule bande-dessinée mais va s'étendre avec trois spin-off. L'un est consacré à la jeune fille du héros, Louve ; le second à son antagoniste la plus célèbre, Kriss de Valnor. Et le troisième s'intéresse à La Jeunesse de Thorgal dans une période donnée (entre les histoires relatées dans les deux tomes "origines" de la série principale, et le tout premier). 

Le but avoué est assez vertigineux vis-à-vis de la BD, puisque les séries Louve et Kriss de Valnor vont raconter des histoires en parallèle à celle de la série-mère Thorgal, sur 7 ou 8 tomes, qui vont toutes se rejoindre dans le 36ème tome du titre principal. Au-delà d'un argumentaire lucratif, l'initiative de mettre en avant deux personnages féminins, à la fois forts et attachants, n'est pas mauvaise, d'autant plus qu'il est difficile dans une quarantaine de pages de développer tous les personnages à mesure égale. Mais comme on le dit souvent, l'enfer est pavé de bonnes intentions.

Un éloignement de certaines racines

Loin de l'idée qu'il ne faut jamais tenter quoique ce soit pour faire évoluer un titre, le constat à la lecture du Thorgal d'Y. Sente, c'est que certaines tentatives ne marchent pas. Le plus regrettable, notamment, c'est d'abandonner tout aspect de science-fiction alors que cela fait partie du mélange d'origine. Sente fait le choix d'inclure une nouvelle facette tournée vers la "Magie Rouge" et développe une intrigue de longue haleine qui continue d'étendre les liens entre certains personnages et l'Asgard, le domaine des dieux, tout en y rajoutant une thématique de guerre de religions, liée au développement du monothéisme, à la fois en occident et en orient. Thorgal entreprend d'ailleurs un voyage vers Bag Dahd qui est sûrement le point le plus difficile pour la série - et qui expliquera que Xavier Dorrison reprenne le titre à partir du 35ème tome.

Mais dans l'éloignement des racines, c'est aussi dans la structure des récits de Van Hamme et dans les valeurs de son personnage que des modifications importantes sont amenées. Les récits deviennent plus complexes, avec plus de personnages secondaires superflus, une intrigue à rallonge et des tomes qui sont bien moins auto-contenus que ne l'étaient les précédents. Une transformation dans la narration pour pousser le lecteur à vraiment suivre le titre, mais qui se montre parfois décourageante. Alors que certaines idées sont bonnes ; les premier pas de Jolan en solo permettent un élan de bravoure d'heroic fantasy classique mais rondement mené et qui apporte du changement par rapport à la nature purement humaine de Thorgal (léger spoiler pour expliciter le propos : les enfants de Thorgal ont des petites capacités que personne d'autre n'a). Enfin, c'est aussi dans le ton de la série que, peut-etre pour une raison de "modernité", elle devient plus dure, et se tourne moins vers un lectorat familial, tous publics, que pour un lecteur plus averti. La violence et la nudité sont renforcées, et pas forcément justifiée.

En revanche l'évolution graphique opérée par Rosinski qui, dès le tome 29, opère en "couleur directe" (comprendre qu'on ne fait plus de séparation entre le tracé du dessin et les couleurs) est superbe. Non content de peindre sur toile les couvertures des albums de Thorgal (et de tous ceux des "Mondes"), on a l'impression d'avoir autant de peintures que de cases de BD dans les albums concernés. Et à une certaine perte de finesse par moments on se retrouve avec des paysages et décors somptueux. De ce côté là, le pari est plutôt réussi.

Des spin-off à l'intérêt discutable

Du côté des à côtés, soyons francs : l'ensemble est trop long, et même un personnage aussi charismatique que Kriss de Valnor a du mal à tenir la durée (elle doit d'ailleurs elle aussi faire face au départ de Sente à partir du 6eme tome). Les deux premiers albums se concentrent sur son passé, à la manière dont le faisaient les albums "origines" de Van Hamme - et se révèlent très dur, surtout le second qui enchaîne viol et avortement sans sourciller - la suite détaille les aventures assez musclées (et, curieusement, plus déshabillées qu'il fut un temps) de Kriss, qui retrouvera un moment Jolan. Le changement de scénariste permet d'éviter les écueils de Sente sur la violence et la nudité (comprenons-nous : ce n'est pas "grave" en soi, mais lorsque c'est gratuit, pas bien pertinent, et que ça enlève complètement une oeuvre de son lectorat de départ, il y a problème) étant allégés, avec même une intrigue plus en "récit complet" pour les deux derniers, qui rappelle beaucoup dans ses thématiques et ses choix (huis clos, voyage dans le temps) ce que faisait Van Hamme pour Thorgal. Carton rouge en revanche pour l'utilisation d'un cliffhanger sur le septième et avant-dernier tome.

Du côté de Louve, c'est moins évident à aborder. La jeune fille est assez charismatique, mais le scénario (ici assuré par Yann) pêche par une certaine redondance, compensée par la réutilisation d'un imaginaire déjà bien développé par Van Hamme. Entre l'hommage et le renouveau (notamment la façon de montrer les capacités spéciales de Louve), c'est surtout la caractérisation d'Aaricia qui laisse pantois, cette dernière ne faisant que se lamenter de l'absence de son mari. Il y a d'ailleurs tout un problème sur le couple Thorgal/Aaricia dans cette période "Les Mondes" qui fait que les lecteurs de la première heure ont dû hurler. Le titre se révèle donc le plus faible des trois, mais heureusement Yann fait un meilleur travail sur La Jeunesse de Thorgal, titre qui est sûrement aussi le plus accessible. Les points abordés par les albums, qui reprennent aussi des structures de récit à la fois "complet", mais répartis sur des petits cycles, permettent à la fois de découvrir le passé de Thorgal d'un oeil juvénile, tout comme ils apportent réponse à des questions que les premiers lecteurs pouvaient se poser depuis longtemps.

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L'opération s'est donc révélée à la fois trop longue (alors qu'elle n'est pas encore finie), avec quelques points intéressants. Si la qualité est en deça à plusieurs moments, l'univers continue de s'étendre et s'aprofondir, malgré quelques décisions qui laissent perplexes. Il reste encore un tome de Kriss à paraître avant que toutes les intrigues ne se retrouvent dans le tome 36 de Thorgal, qu'on pourra peut-être découvrir l'année prochaine (?). Une étape qui devrait ensuite marquer un tournant pour la suite de l'épopée, Dorrison ayant déjà montré vouloir se débarrasser de certains éléments de Sente, avec une direction qui pourra donc se révéler intéressante. Bien qu'à l'heure actuelle, c'est que Thorgal soit devenu très violent qui puisse poser problème. En l'état, et presque curieusement, c'est le Thorgal "à l'ancienne" qui reste donc le plus actuel, par son apparente simplicité, sa narration qui reste moderne, et des personnages qui resteront attachants de façon intemporelle. La marque des classiques, en somme. 

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