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par Landros - le 8/08/2014
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par Landros - le 8/08/2014

Retour Sur HS #1 : La Première Guerre Mondiale

Il y a cent ans, après une semaine d'ultimatums, de tractations diplomatiques et de déclarations de guerre, les plus grandes nations que le monde connaissait allaient plonger dans une guerre d'une violence insoupçonnée : le premier conflit mondial de l'histoire de l'Humanité.

À l'occasion de ce triste centenaire de la Grande Guerre, je vous propose de revenir sur un ensemble d'oeuvres et d'auteurs du 9ème Art qui ont, à leur façon, tenté de décrire, retracer, imaginer la vie durant ces quatre années de guerre.

Le choix des oeuvres et des auteurs est bien évidemment subjectif : je vous invite alors à fouiner au-delà de la liste que je vous propose si le sujet vous intéresse. De même, n'hésitez pas à proposer les oeuvres qui vous ont personnellement marqué dans les commentaires.

Introduction : le retour de 14-18 dans la conscience collective

Le retour en force de la Grande Guerre au sein de la conscience collective nationale a été constaté par de nombreux historiens. C'est tout d'abord le champ politique qui s'empare de la thématique de la Grande Guerre. L’année 1994 marque une première rupture importante au sein de la société : malgré l'ouverture d'un colloque très important d'un point de vue historiographique, aucune commémoration n'est organisée par le gouvernement. Quelques années plus tard, Lionel Jospin lance une polémique : il propose à l’Assemblée Nationale un projet de réhabilitation des fusillés de guerre. On constate alors une demande sociale véritablement importante au sein de la population.

Cet intérêt du grand public pour le conflit est croissant depuis les années 1990. La production cinématographique en est particulièrement représentative : Un Long Dimanche de Fiançailles, Joyeux Noël, La Chambre des OfficiersLes Fragments d’Antonin ... Ces oeuvres cinématographiques témoignent de la curiosité des spectateurs pour des thèmes bien réels de la Première Guerre Mondiale : le combat, la justice militaire, la blessure, le deuil ...

Évidemment, cet intérêt des français pour la Grande Guerre se retrouve également dans le 9ème Art. De nombreux succès en bande dessinée de ces dernières années se trouvent être en relation avec cette histoire traumatique. Il semble tout de même important de dresser quelques généralités sur la production des bandes dessinées afin de comprendre davantage les oeuvres explicitées par la suite.

Tout d'abord, du point de vue des thématiques, il ne faut pas oublier que la Bande Dessinée possède une véritable tradition de critique sociale. Ainsi, les nombreux sujets traitants de la vie quotidienne se montrent bien plus acerbes qu'au cinéma.

De plus, la Bande Dessinée est un art relativement limité d'un point de vue national : seul les pays de la Triple Entente et leurs alliés possèdent une véritable tradition du 9ème Art (Belgique, Angleterre, États-Unis, France). Sans forcément créer des oeuvres partisanes, cette différence de production lèse le lecteur quand à une diversité d'opinions et de points de vue.

Enfin, il est évident que l'imaginaire collectif des auteurs est une source d'inspiration importante pour leurs oeuvres. Ainsi, il existe des différences notables des représentations de la Grande Guerre en fonction des pays. L'exemple le plus frappant est celui de la tranchée, symbole mythique si il en est de la Première Guerre Mondiale. La Belgique n'en a connu presque aucune sur son territoire à l'inverse de la France. On constate alors que les BDs françaises représentent presque systématiquement le conflit avec des tranchées alors que celle-ci se font plutôt rare au sein des oeuvres belges. Ainsi, chaque bande dessinée ou comics est largement conditionné par l'origine nationale de son auteur.

Jacques Tardi : l'incontournable

Quand on parle de la Première Guerre Mondiale et de Bande Dessinée, le premier artiste qui nous traverse l'esprit est sans aucun doute Jacques Tardi. Pour cause, le scénariste et dessinateur français, né à Valence en 1946, est l'auteur d'une imposante littérature à propos de la Grande Guerre.

Le conflit mondial est en effet omniprésent dans l'oeuvre de Tardi : que se soit au sein de bandes dessinées qui lui sont directement consacré (Adieu Brindavoine, La Véritable Histoire Du Soldat Inconnu, Le Trou d'obus, Où Vas-Tu Petit Soldat, etc.), ou qui y font clairement référence (la seconde partie des Aventures d’Adèle Blanc-Sec qui se situent juste après la guerre). La richesse de l'œuvre du français permet alors une véritable évolution narrative : si la guerre est au début un support, un cadre scénaristique dans lequel Tardi fait évoluer ses personnages, le conflit devient au fur et à mesure le personnage principal de ses créations.

Ainsi, ses œuvres tels que C'était La Guerre des Tranchées ou Putain de Guerre se lisent davantage comme des manuels scolaires ou des biographies. En effet, sa collaboration avec l'historien Jean-Pierre Vernez lui a permis d'écrire des scénarios d'un grand réalisme historique et d'une qualitée exceptionnelle.

La force de Tardi est la justesse avec laquelle il décrit le quotidien de la vie des soldats : la morosité, la misère et le vent de révolte qui souffle sur ces hommes. J'utilise en conscience le terme "d'homme" car c'est ainsi que l'auteur souhaite représenter ses personnages : des hommes, la trouille au ventre, plongés dans le désespoir, bien loin d'être des "héros". Il met à profit son talent et son trait si particulier de dessinateur pour retranscrire avec brio l'enfer de la boue et des tranchées.

Récompensé du Grand Prix de la ville d'Angoulême en 1985, de deux Eisner Awards en 2011 et d'un troisième cette année, Jacques Tardi est l'auteur incontournable pour la Première Guerre Mondiale.

Didier Comès : la vision belge

À l’inverse d’un Jacques Tardi dont la relation avec la Grande Guerre est particulièrement explicite dans son œuvre, il existe des auteurs qui entretiennent un lien moins évident avec le conflit mondial : Didier Comès en est l'incarnation pour les Belges. Malheureusement disparu en mars dernier, l'auteur était entré au Panthéon des auteurs de bandes dessinées en 1979 avec son chef d'oeuvre Silence, récompensé d'un Alfred du meilleur album au festival d'Angoulême.

La particularité de Comès est d'entretenir une relation familiale avec le conflit : né pendant l'occupation allemande d'un père parlant allemand et d'une mère le français, il fait sans aucun doute parti de ceux qui comprennent le mieux l'opposition entre "la Kultur et la Civilisation" du début du siècle.

C'est en 1976 qu'il écrit son oeuvre la plus proche de la Première Guerre Mondiale : L'Ombre du Corbeau. Dans cet album, Comès nous conte l'histoire de Goetz Von Berlichingen, rescapé d'un bombardement de l'artillerie française en septembre 1915 dans la Meuse. D'étranges scènes apparaissent alors devant les yeux du soldat allemand, qui ne sait pas si elles sont réelles ou issues de son imagination. Un joueur de flute et des animaux sauvages le mènent à un château parfaitement épargné par la guerre.

À sa grande surprise, la famille bien étrange qui habite le lieu connaît Goetz parfaitement. Après quelques jours d'incompréhension, le soldat comprendra avec stupeur que les membres de la famille incarnent en réalité les différentes facettes de la mort. Dans son style si particulier, qui mèle réalisme et fantastique, poésie et violence, Comès réussit à nous décrire parfaitement l'absurdité de la Grande Guerre et de ses morts. 

L'auteur belge revient au premier conflit mondial près de trente ans plus tard, avec son dernier album : Dix de Der. Bien que l'intrigue principale se déroule en 1944, le héros est confronté à deux fantômes (un français, un allemand) de la Grande Guerre lors de la bataille des Ardennes. Les violences passées entre les deux nations se jouent ici autour d'un jeu de carte : manière pour Comès de nous démontrer encore une fois la folie aveugle de cette guerre.

Charlie & le réalisme anglais

La série La Grande Guerre de Charlie (Charley’s War) a été créée par Pat Mills et Joe Colquhoun et publiée entre 1979 et 1988 dans le magazine hebdomadaire Battle au Royaume-Uni. Cette oeuvre imposante (8 volumes) relate la vie du jeune Charley Bourne, qui s'engage volontairement, porté par un élan patriotique, au sein de l'armée britannique à l'âge de 16 ans. Le lecteur suit alors l'évolution de ce jeune anglais de la bataille d'Ypres à Verdun, du poste de fantassin à sapeur en passant par brancardier...

Le réalisme de cette série est sa principale force. En effet, Patrick Mills s'est longuement et minutieusement documenté sur l'ensemble du premier conflit mondial afin d'immerger au maximum son lectorat dans la guerre. Le récit abonde de détails historiques conférant à l'ensemble un aspect très documentaire : les horreurs de la guerre sont bien évidemment décrites avec attention, mais l'auteur s'attarde également sur les relations avec l'arrière, les gaz, les dernières charges de cavalerie, les tireurs allemands… L'apparition des premiers chars de combat devant les soldats, les yeux plein de surprise et de terreur, est un moment inoubliable.

Le lecteur découvre également Charlie, l'anti-héros peu intelligent mais courageux et sympathique. Son évolution est d'ailleurs au centre du récit puisqu'au cours des différentes années de guerre, Charlie deviendra découragé, presque dépressif et en viendra à aider des déserteurs. L'histoire de ce jeune anglais est donc bien loin des poncifs de la BD de guerre grandiloquante et pleine d'héroïsme. Fondamentalement, l'auteur souhaite nous révèler la nature humaine des Hommes de cette guerre : de l'officier plein de mépris pour les tommies, à l'incompétence du vieux commandement face à la guerre moderne jusqu'à la violence et l'impunité des sous-officiers au coeur des tranchées. Le lecteur y apprend alors le changement radical des Hommes au contact de cette violence paroxistique.

Le dessin en noir et blanc de Joe Colquhoun, d'un réalisme impressionant, redonne à l’horreur et à l’absurdité de la guerre des tranchées toute sa force et son intensité.

Joe Sacco : le reportage américain

Les habitudes et cultures au sein du 9eme Art diffèrent énormément d’un pays à un autre et d’un continent à un autre. Si la BD historique fait pleinement parti de l’histoire du franco-belge, elle est tout de même beaucoup moins courante outre-Atlantique. Ainsi, il apparait difficile de trouver des ouvrages en relation direct avec la Première Guerre Mondiale aux États-Unis. Joe Sacco (maltais d’origine au demeurant) vient de réparer cette injustice avec son oeuvre singulière : La Grande Guerre : Le premier jour de la bataille de la Somme.

Joe Sacco est avant tout un journaliste spécialiste de différents conflits de part le monde et non dessinateur ou scénariste de formation. Ses études l'ont donc mené à entretenir une approche et un point de vue complètement différent des auteurs classiques de bandes dessinées. Ses œuvres sont donc originales de par leur forme : elles sont davantage des reportages, des documentaires présentant un contexte particulier plutôt qu’une fiction entre des personnages.

La Grande Guerre : Le premier jour de la bataille de la Somme se présente alors comme une œuvre unique au sein du paysage du 9eme Art. S’inspirant de la Tapisserie de Bayeux, chef d’oeuvre de l’art médiéval si il en est, Joe Sacco nous livre une fresque de 7 mètres présentée sous la forme d’un livre accordéon. On y découvre le déroulement de cette journée du 01 juillet 1916, heure par heure : de la prise de décision au haut-commandement britannique, jusqu’au bombardements incessants de l’artillerie anglaise, en passant par le sacrifice des soldats hors de leur tranchée.

La force de cette oeuvre est véritablement le choix de son sujet et la manière de l’aborder. On y découvre la vision d’un américain sur une histoire mondiale à partir de documents militaires anglo-saxons. Le traitement est donc surprenant mais le sujet encore plus : Joe Sacco ne s’intéresse pas au premier jour de la bataille de la Somme pour sa violence intrinsèque et ses 20 000 morts anglais, mais pour son importance historique : il s’agit véritablement du jour où le monde comprit la puissance mortifère de la guerre moderne.

Finalement, La Grande Guerre : Le premier jour de la bataille de la Somme est une oeuvre à part entière au sein du 9eme Art tant par sa forme que son fond et son traitement graphique. Joe Sacco nous présente un oeuvre d’une force incroyable au travers d’un dessin compact et fouillé, ne négligeant aucun détail, ignorant délibérément perspectives et proportions réalistes. Bref, un documentaire immanquable pour la Première Guerre Mondiale.

COnclusion : Le Renouveau

Alors que le centenaire de la Grande Guerre approchait à grands pas, les éditeurs ont sorti une quantité impressionante d'ouvrages concernant le conflit. Cependant, comme je l'évoquais dans l'introduction, cela fait plusieurs années que la production de bandes dessinées à propos de la Première Guerre Mondiale est importante. Ces albums sont bien souvent le fruit d'une nouvelle génération d'auteurs qui apporte une nouvelle façon de voir et de décrire le conflit. Alors quels sont les ouvrages à retenir ?

Bien évidemment, je ne peux que vous conseiller l'excellent ouvrage de Porcel et Zidrou Les Folies Bergères. L'auteur nous livre ici un récit particulièrement poignant sur l’enfer du quotidien des tranchées. Malgré tout, l'auteur de l'Élève Ducobu ne tombe pas dans le pathos et propose des moments d’espoir, d’humour et d’imaginaire au milieu des balles et des cadavres. Françis Porcel quant à lui réalise le tour de force de retranscrire à merveille, grâce à une teinte terreuse, le cruel récit de son collègue.

Kriss et Maël sortent également du lot avec leur excellente série Notre Mère La Guerre. La guerre fait déjà des ravages depuis plus de six mois, l'Europe est à feu et à sang, le monde civilisé s'écroule... Sur le front, on retrouve les corps assassinés de trois femmes et sur elles, à chaque fois, une lettre écrite par leur meurtrier. Les deux auteurs nous présente ainsi une enquête policière des plus intéressante sur fond de Première Guerre Mondiale. Cette série en quatre tomes n'est à pas louper !

J'espère que vous avez apprécié ce petit dossier. N'hésitez pas à me faire part de vos remarques en commentaire ou sur Twitter (@AlexisLandreau). Si certaines bandes dessinées à propos de la Grande Guerre vous ont marqués, n'hésitez pas à partager vos conseils lectures ! Bonne lecture et à bientôt !

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