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par Alfro - le 16/03/2015
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par Alfro - le 16/03/2015

Dossier Premium : L'histoire du Weekly Shônen Jump

L'arrivée prochaine et très attendue de J-Stars Victory VS+ en Europe montre bien toute la popularité qu'a encore le Weekly Shônen Jump, même au-delà du Japon. Fournisseur des plus grandes séries de manga pendant de nombreuses années, bien aidé par la publication de Dragon Ball Z, ce légendaire magazine voit aujourd'hui son monopole tomber en morceaux.

Créée en 1925, la maison d'édition Shûeisha assiste à l'explosion du manga dans les années 60 et décide très vite d'y participer quand Osamu Tezuka met un terme à Astro Boy, succès incontestable qui a posé les bases du shônen. C'est ainsi qu'ils décident d'adjoindre en 1968 à leur Shônen Book, un bimensuel assez volumineux, un nouveau magazine : le Weekly Shônen Jump. Si les premières séries qu'ils y publient n'attirent pas grand monde, les éditeurs du magazine vont très vite tomber sur deux auteurs promis à un grand avenir. Ainsi, dès la première année, ils découvrent Go Nagai, bien connu en France pour avoir créé Goldorak. Il n'en est pas encore là mais permet au magazine d'attirer ses premiers lecteurs.

L'année suivante, c'est Leiji Matsumoto, qui signe alors ses œuvres en tant qu'Akira Matsumoto, qui rejoint le magazine. L'auteur de Space Yamato et Albator n'est alors connu de personne mais contribue à augmenter la popularité d'un magazine qui monte peu à peu avec une première série. Devant les revues de ses concurrents, la Shûeisha décide de fusionner les Shônen Books et ce nouveau magazine au bout du vingtième numéro, afin de pouvoir passer à une publication hebdomadaire. Cette décision éditoriale permet d'assurer rapidement le million de lecteur, ce qui est bien mais pas encore au niveau des Weekly Shônen Magazine ou Weekly Shônen Sunday qui lui font de l'ombre sur les étals des kiosques.

Ils vont frapper un grand coup en 1971 en signant le nouveau manga d'Osamu Tezuka, le "Dieu du Manga", la suite des Lion Books. Assez étrangement, ce n'est pas ce manga qui sera le plus gros succès des débuts du Jump, mais Dokonjô Gaeru, une série comique sur le quotidien d'un écolier dont le t-shirt possède l'esprit d'une grenouille qui lui donne des conseils. Encore très proche du style de Tezuka, ce manga sera une série au long cours puisqu'elle s'étendra sur 27 numéros. Il faudra attendre l'année suivante pour découvrir la première série au succès fulgurant.

En effet, en 1972, Go Nagai revient avec un nouveau titre : Mazinger Z. Il va tout simplement inventer dans celui-ci le principe du mécha, un robot gigantesque contrôlé de l'interieur par un humain (il en est venu à cette idée alors qu'il était bloqué dans le trafic et qu'il imaginait un moyen de dépasser les autres voitures). Ce genre résolument nouveau, qui lorgne du côté des grands classiques de la science-fiction, va avoir un retentissement qui va profiter au magazine qui l'accueille. Ce dernier promulgue la diversité en alignant des mangas aussi différents que Gen d'Hiroshima, où Keiji Nakazawa se rappelle de sa fuite d'Hiroshima et des conséquences sur la société qu'a eut le bombardement nucléaire, ou Play Ball, un manga sur le baseball.

Les ventes décollent progressivement alors que les années 70 voient l'économie japonaise fleurir à grande vitesse. La Shûeisha continue de débusquer des talents partout sur l'île nipponne et en 1975, sort Doberman Deka, dont le scénario est signé par un certain Buronson, qui sera nul autre que le créateur d'Hokuto no Ken. Surtout, l'année suivante débute Kochikame, le manga défiant tous les records, cette histoire du quotidien d'un commissariat de quartier étant toujours en cours, l'auteur Osamu Akimoto venant tranquillement de sortir le tome 192. L'année de l'explosion du punk londonien verra un jeune auteur se faire un trou dans les séries du Jump, un certain Masami Kurumada qui dans Ring ni Kakero, une histoire de boxeur, jette les bases de son futur hit Saint Seiya.

La fin des années 70 voit le Jump s'imposer de plus en plus avec deux millions d'exemplaires qui s'écoulent chaque semaine. Surtout qu'il est bien aidé par deux nouvelles publications. Cobra en premier lieu, le manga de Buichi Terasawa qui aura une résonnance particulièrement importante en Europe et aux Etats-Unis, puis Muscleman, nouveau titre qui mélange sport et comédie et qui aura un succès immense au Japon. C'est ainsi que le magazine de la Shûeisha aborde les années 80 plein de confiance.

Celles-ci vont s'ouvrir avec une série qui deviendra bien vite un hit monstrueux. En effet, en 1980 commence Dr. Slump, série d'un inconnu qui s'est lancé dans le manga seulement quelques années avant : Akira Toriyama. L'histoire d'Aralé va réunir des millions de lecteurs qui découvriront dès l'année suivante un autre manga qui deviendra culte : Captain Tsubasa. Cette série de foot plus connue sous le nom d'Olive et Tom par chez nous va avoir un succès colossal, appuyée bien vite par un animé qui va encore augmenter la popularité de la publication du Jump.

Les années 80 voient les ventes du magazine littéralement s'envoler, surtout que désormais la Shûeisha a assez de poids pour signer les plus grandes séries à venir. Ainsi, ils accueilleront la première série à succès de Tsukasa Hojo, la fameuse Cat's Eye où l'on suit trois sœurs voleuses qui veulent découvrir la vérité sur leur père. Puis en 1982, c'est le Collège Fou, Fou, Fou, série comique qui raconte le quotidien d'un groupe de collégiens, un nouveau titre à succès. Puis, Masakazu Katsura, grand ami de Toriyama (ce serait même ce dernier qui l'aurait introduit dans les locaux de son éditeur) et auteur débutant, dévoile Wingman, qui préfigure son futur manga culte Zetman, qui mélange super-héros, SF et humour décalé.

La même année, ce sera Hokuto no Ken qui va commencer dans les pages du Jump. Buronson s'adjoint les services du dessinateur Tetsuo Hara pour cette série qui annonce une évolution du shônen vers quelque chose de plus violent, plus mâture aussi. Pourtant, il partage le même sommaire qu'une nouvelle série bien différente, Kimagure Orange Road, qui mêle allégrement romantisme et pouvoirs surnaturels avec une grosse dose d'humour. Ainsi, le Jump accueille de quoi satisfaire tous les lectorats et aborde son année 1984 en étant en tête des ventes de magazines avec quatre millions d'exemplaires écoulés. Pourtant, ils n'ont pas encore publié ce qui sera leur plus grand succès.

En effet, alors que le futur auteur de JoJo's Bizarre Adventure, le génialement fou Hirohiko Araki, publie son premier manga avec Baoh, cette année 1984 sera surtout marquée par la publication du premier chapitre de Dragon Ball. S'il connait des débuts modestes, il va très vite devenir un phénomène de société qui va faire du magazine de prépublication qui l'accueille le plus vendu de tous et de très loin. Surtout, le jeune Goku est le fer de lance d'une explosion des shônen nekketsu (manga d'apprentissage composé de combats successifs) qui sera la marque de fabrique du magazine durant les deux décennies à venir.

Dans le sillage de Dragon Ball, le Jump va connaitre ses années les plus fastes. Non seulement le manga d'Akira Toriyama est le plus gros carton de l'histoire de la BD japonaise, mais ils vont en plus lancer une série culte chaque année après cela. Dès 1985, Tsukasa Hojo va revenir avec la série qui le consacrera : City Hunter (diffusée chez nous sous le nom de Nicky Larson). Du polar sexy, drôle mais aussi grave et adulte. Une nouvelle preuve que le manga évolue à nouveau vers des schémas moins codifiés et plus variés. Un an plus tard, un autre auteur du Jump concrétise la confiance mise en lui par ses éditeurs, Masami Kurumada sortant le premier chapitre de Saint Seiya, avec le succès qu'on lui connait.

Avec encore un an d'intervalle, confirmant la tendance des jeunes auteurs découverts par la Shûeisha qui arrivent enfin à maturité pour livrer leurs chefs-d'œuvre, Hirohiko Araki commence le premier volume de JoJo's Bizarre Adventure. Aussi farfelue qu'étrange, cette série va pourtant attirer de nombreux lecteurs japonais (beaucoup moins chez nous pour les raisons que l'on connait) et s'établir comme culte en quelques numéros. Il en sera de même pour Bastard!! (avec cependant moins d'importance sur la durée) qui sortira l'année suivante.

Le Jump s'approche des années 90 sereinement, écrasant soigneusement la concurrence en alignant carrément les dix séries qui se vendent le mieux dans ses pages. Pourtant, les auteurs du futur poussent déjà au portillon et le magazine est sur le coup en publiant les premiers travaux d'artistes qui deviendront les stars de demain, comme Takeshi Obata, Yoshihiro Togashi ou Takehiko Inoue. Avant de quitter définitivement la décennie qui a assisté à la naissance du hip-hop, le Jump va publier Dragon Quest : La Quête de Daï (ou Fly pour les nostalgiques), manga inspiré par le jeu vidéo dont Toriyama réalise les designs et qui va se révéler être un petit bijou malgré son statut d'œuvre d'exploitation.

Les années 90 ont donc commencé sous les meilleurs auspices pour le magazine de la Shûeisha qui est pourtant au centre de toutes les polémiques, de nombreux auteurs lui reprochant d'imposer un monopole pyramidal grâce à une position largement préférentielle et qui nuit à la visibilité d'auteurs plus confidentiels (et qui avaient autre chose à proposer que les publications du Jump très codifiées). Pourtant, la revue continue d'avancer sans se soucier des critiques et frappe fort dès le début de la décennie avec Slam Dunk, le cultissime manga de basket de Takehiko Inoue, qui va vite devenir l'une des séries les plus populaires du magazine, la seule à pouvoir suivre un peu les standards dingues imposés par Dragon Ball. Surtout que quelques semaines plus tard un autre auteur confirme la confiance que les auteurs avaient mis en lui. En effet, Yoshihiro Togashi commence son Yû Yû Hakushô en 1990 et se fait petit à petit un nom.

Le magazine Jump vit alors ses plus belles années, toujours très largement au sommet des ventes avec un pic au-dessus des six millions d'exemplaires écoulés au milieu des années 90 alors que de nouvelles séries arrivent encore et toujours, dont DNA² (de Masakazu Katsura), Captain Tsubasa alors qu'il participe aux championnats du monde et qu'il est signé par le FC Barcelone, Rash!! où Tsukasa Hojo dévoile un équivalent féminin à Nicky Larson (dans le caractère) et surtout Kenshin le Vagabond, le manga de samouraï de Nobuhiro Watsuki faisant un démarrage spectaculaire et s'imposant rapidement comme l'une des séries-phares du Jump alors que celui-ci est à son apogée.

Si le début des années 90 a été particulièrement brillant pour la Shûeisha, à partir de 1995 les choses vont se gâter. La cause principale de ce ralentissement important des ventes, puisqu'en moins de cinq ans ce sont près de deux millions de lecteurs qui arrêteront de suivre régulièrement le Jump, c'est évidemment la volonté d'Akira Toriyama, malgré des éditeurs qui le poussent encore et encore à étendre son histoire, d'arrêter Dragon Ball. L'effet est radical sur le magazine puisque au tournant du nouveau millénaire il aura moins de quatre millions de lecteurs. Il reste cependant la revue de prépublication la plus vendue du Japon.

L'arrêt de la série-phare du magazine n'est pas le seul facteur qui voit le magazine vendre de moins en moins. En effet, la récession commence à se faire sentir et surtout le nombre de revues de manga a grandement augmenté en quelques années, attirant les nouveaux auteurs qui auraient auparavant rêvé de figurer dans les pages du Jump. Pourtant, celui-ci va continuer d'accueillir de nouveaux titres, dont Yoshihiro Togashi qui sort son nouveau manga Level E et Yu-Gi-Oh qui arrive en 1996 et qui deviendra rapidement un phénomène de société qui va se répendre en de multiples produits dérivés. Masakazu Katsura va aussi revenir avec I's (qui n'aura cependant pas le même succès que Zetman).

Alors que le Jump semble traverser une mini-crise, une nouvelle série va permettre au magazine de maintenir sa place de leader incontesté. En effet, Eiichiro Oda, jeune assistant de Nobuhiro Watsuki sur Kenshin le Vagabond se lance dans son premier manga. Totalement inconnu, et même un peu boudé à ses débuts, Oda va vite devenir une star du milieu avec One Piece. Il préfigure un retour en force des shônen dans leur forme la plus pure. Si le manga ne connaitra pas des débuts stratosphériques, il va peu à peu s'imposer comme l'héritier de Dragon Ball et truster tous les classements et s'installer sur la durée (l'aubaine de la Shûeisha étant que l'auteur lui-même a décidé de faire de sa série une œuvre sur le très long cours).

Luffy et sa bande sonnent le clairon pour le retour en force des séries à succès, et moins d'un an plus tard Yoshihiro Togashi dévoile le premier chapitre de son chef-d'œuvre : Hunter X Hunter. Bien loin de la publication chaotique qu'il connaitra par la suite, il s'impose comme un nouveau phénomène éditorial. Il précède de quelques semaines la sortie de Shaman King, autre nekketsu totalement typé années 90. Pourtant, ce sont les années 2000 qui se profilent déjà, et en 1999 s'annoncent les succès de demain. Ainsi, pendant qu'un certain Tite Kubo se fait connaitre avec ZombiePowder, on découvre les premières pages de Naruto de Masashi Kishimoto, qui va vite devenir un hit international, surpassant même One Piece. 

Histoire de bien commencer le nouveau millénaire, le Jump va dévoiler coup sur coup deux des séries qui vont lui permettre de continuer à survoler un paysage éditorial qui se délite peu à peu. Ainsi, Tite Kubo publie le premier numéro de Bleach, qui va vite devenir la coqueluche des lecteurs du magazine, puis Eyeshield 21 qui va permettre de retrouver un shônen de sport de premier plan pour pallier à l'arrêt de Slam Dunk. Notons que c'est aussi à ce moment-là qu'ils vont créer la Jump Fiesta, convention entièrement consacrée aux publications du magazine et qui s'appuie sur le modèle des Comic Con qui est en train d'exploser outre-Atlantique. Surtout, cela montre le désir de la Shûeisha de se diversifier devant des ventes qui ne décollent plus et qui accusent un sacré coup avec les sites de scantrad qui permettent d'avoir les séries du magazine trois jours avant qu'il sorte.

Profitant du trio One Piece, Naruto et Bleach pour conforter sa place de leader, le Jump observe tout de même ses concurrents se rapprocher inexorablement et surtout ses ventes s'étioler pour finalement se stabiliser aux alentours de 2004 avec deux millions de fidèles. C'est aussi à cette période que sort le premier chapitre de Death Note, nouveau phénomène éditorial qui aura la particularité de particulièrement bien fonctionner à l'international. Ce sera aussi une forme de consécration pour le dessinateur Takeshi Obata qui a illustré différentes séries du Jump quasiment sans s'arrêter depuis 1989. La récompense de la pugnacité. D'ailleurs, à une semaine d'intervalle sort le premier chapitre de Gintama, autre série à succès du magazine.

D'ailleurs, cette année 2004 sera particulièrement prolifique pour le magazine de la Shûeisha puisque démarreront aussi Reborn! et D. Gray-Man cette année-là, des mangas qui s'exporteront très bien et qui confirment que la BD japonaise intéresse de plus en plus les étrangers. Si les éditeurs japonais ne s'en rendent pas tout de suite compte, c'est cette tendance à la redécouverte de l'art séquentiel nippon au-delà de leurs frontières, et surtout aux Etats-Unis (la France constitue une exception culturelle puisque nous avons été des grands consommateurs de manga bien avant d'autres pays occidentaux) où le manga explose à cette période, qui va permettre au genre de gagner un surcroît de santé. D'ailleurs, le piratage souvent mis en cause dans la perte de vitesse des magazines de prépublication permet l'émergence d'un grand nombre de nouveaux lecteurs de par le monde.

Si Yûsei Matsui se fait connaitre en 2005 avec Neuro, il faut reconnaitre que les années suivantes seront bien plus calmes pour le Jump qui n'arrive plus à trouver de nouvelles séries enthousiasmantes. Surtout que si One Piece cartonne toujours autant, et même de plus en plus à mesure que le style d'Eiichiro Oda s'affirme et que les intrigues deviennent plus élaborées, Bleach est clairement en perte de vitesse, tout comme Naruto qui s'il vend toujours bien, n'est plus le phénomène qu'il était à ses débuts - et qui est désormais terminé. Pourtant, de nouvelles séries continuent ici et là d'émerger du lot, comme Sket Dance, Psyren ou Toriko qui est une ode au manga classique le plus farfelu.

En 2011, pour la première fois depuis qu'il est devenu hebdomadaire, le Weekly Shônen Jump verra l'un de ses numéros ne pas être publié. La faute au grand tremblement de terre qui secoua le Japon et qui va profondément affecter tout le pays. La Shûeisha décidera alors de sortir ce numéro gratuitement sur internet, expliquant qu'en ces heures sombres, priver les gens de leur magazine serait encore pire pour leur moral. Notons que quelques semaines après ce triste événement commencera la série Nisekoi de Naoshi Komi.

Alors certes, le Jump n'est plus ce magazine qui régnait en maître sur les prépublications de shônen, ce qui est franchement un plus pour la diversité du manga (les séries géniales qui peuplent les catalogues de Kurokawa, Ki-Oon et Komikku auraient-elles bénéficié de tant de visibilité sans cette perte de vitesse ?), mais il reste toujours aussi actif et ne s'arrête pas de dévoiler de nouveaux titres, avec parmi de nouveaux succès comme Assassination Classroom de Yûsei Matsui ou Food Wars et World Trigger qui s'installent comme des mangas à succès dans un paysage qui est désormais dominé par des séries comme L'Attaque des Titans qui parait lui dans le Bessatsu Shônen Magazine. Quel sera donc l'avenir de ce magazine qui a publié les plus grandes séries de tous les temps ? Les derniers mois montrent que ses éditeurs réputés frileux se tournent enfin vers Internet et ses multiples possibilités. Le changement, c'est maintenant ? 

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