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par Alfro - le 25/03/2015
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par Alfro - le 25/03/2015

Nos BD cultes #3 : Maus

Œuvre largement culte, Maus est devenue l'argument d'autorité lorsque vient le moment de rappeler que la bande dessinée est une littérature qui peut traiter de sujets profonds si le cœur lui en dit. Il faut pourtant voir bien au-delà de ça et considérer cet ouvrage pour lui-même, un chef-d'œuvre intemporel.

"Y aller c'était pas bon, ne pas y aller, c'était pas bon non plus."

Quand Art Spiegelman commence la publication de Maus, il est déjà un artiste reconnu du milieu de la BD underground américaine, qui traine souvent dans les même milieux que Robert Crumb et S. Clay Wilson. Il a lancé avec sa femme, la romancière française Françoise Mouly, le magazine de BD Raw, et c'est dans les pages de celui-ci (qui publiera plus tard Ici de Richard McGuire) qu'il va lancer sa série en 1986 qui sera ensuite éditée en deux albums, que l'on retrouve désormais regroupés dans une intégrale. Nous y découvrons des personnages zoomorphiques, l'auteur s'inspirant des fameux dessins animés américains comme ceux de Walt Disney ou les Looney Toons, pour dépeindre un des événements les plus horribles de l'histoire récente : la Shoah. L'écart entre cette iconographie d'inspiration enfantine et ce sujet terrible est voulu par Spiegelman et renforce un état de malaise qui ira grandissant à mesure que les pages défilent.

Il prend le parti de traiter le sujet avec un regard autobiographique puisque c'est le témoignage de son père, survivant de l'Holocauste, qu'il met ici en scène. Petit bourgeois juif polonais, son père est le témoin privilégié d'un drame dont on arrive toujours pas à concevoir comment il a pu arriver. Tout l'avantage de cette BD, c'est qu'il choisit justement de traiter la Shoah par le prisme d'un survivant qui lui décrit sans fard les événements, loin de tout fantasme sur un moment de l'Histoire si terrible que l'on a du mal à les traiter sans angélisme. Spiegelman se prémunit de toute fausse pudeur et décrit des moments terribles, tragiques au possible, sans jamais faire de concession. Ainsi, l'un des thèmes importants de son récit est la déshumanisation mise à l'œuvre dans les camps, qui désagrège toute solidarité. La communauté juive n'existe plus, la solidarité s'éteint, à mesure que sous les tortures nazies leurs victimes perdent peu à peu leur lien avec l'humanité.

"Il est plus attaché aux choses qu'aux gens !"

Là où Maus prend aux tripes, c'est qu'il va mettre en scène les supplices infligés aux victimes de l'Holocauste qui ne sont autres que les membres de sa famille, des personnes réelles qui même si elles ont des têtes de souris sont grandement humanisés par le récit de Spiegelman. D'autant plus qu'au-delà de son sujet, le dessinateur déploie de véritables trouvailles visuelles et narratives qui vont marquer grandement le monde de la BD. Il va aussi déconstruire son récit, remettant les mémoires de son père en perspective à la relation qui le lie à lui au moment de recueillir ses propos. On découvre un homme radin, hypocondriaque et colérique. Un homme qui restera à jamais traumatisé par les camps, tout comme sa femme qui s'est elle suicidée bien des années après (ce qui donne l'un des chapitres les plus terribles et touchants de la BD).

Car ce que montre Maus, c'est qu'au-delà des horreurs de la guerre, l'horreur continue. Son père est ainsi l'avatar d'obsessions glanées durant ses quelques années où il a peu à peu perdu son humanité à force de privations et d'humiliations, où on lui a refusé son statut d'être humain. Une expérience traumatisante qui a des répercussions sur son existence toute entière mais sur son fils aussi, qui aura vécu avec le poids de cette tragédie sans jamais l'avoir vécu. Spiegelman avoue même éprouver la culpabilité du survivant vis-à-vis de ce frère qu'il n'aura jamais connu, mort dans les camps avant qu'il naisse. Maus, c'est une BD complexe, qui montre une réalité complexe. Art Spiegelman ne choisit jamais la facilité, décrit sans artifice comment une telle horreur à pu se mettre en place et les multiples conséquences qu'elle aura, sans jamais faire dans le raccourci. Toujours avec l'honnêteté intellectuelle de ne rien exclure de son récit, il a délivré une œuvre désormais cultissime et qui rayonne bien plus loin que le domaine de la BD, une histoire qui trouble par les multiples facettes de sa réalité la plus dure.

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