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par LiseF - le 29/07/2020
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par LiseF - le 29/07/2020

Baume du tigre, raconter le déracinement à travers les yeux de celles qui le vivent

Au mois de juin, Baume du tigre de Lucie Quéméner chez Delcourt remportait la première édition du prix BD des étudiants France Culture. Cette récompense a naturellement attiré mon attention sur ce titre, qui m'avait un peu glissé des mains en raison des graphismes qui peinaient à me convaincre. Intriguée, j'ai repris ma lecture de l'album, et j'ai finalement été conquise par ce récit racontant si bien l'impression d'appartenir à deux pays, sans vraiment leur appartenir en vérité.

Un foyer étouffant

Edda, Isa, Wilma et Etta sont quatre soeurs vivant dans une maison au bord de la mer avec leur mère et leur grand-père. Elles sont métisses, nées d'une mère d'origine chinoise et d'un père français. Mais de la France, elles ne connaissent pas grand-chose : leur grand-père leur interdit de sortir, contrôle leurs tenues, leurs loisirs. Patron de restaurant, il a déjà décidé pour elles qu'elles rejoindraient l'entreprise familial après le lycée et à terme, reprendraient le business.

Évidemment, les quatre soeurs vont finir par ne plus supporter cette situation. La plus âgée, Edda, a brisé un tabou : elle a postulé dans une école de médecine, et elle a été reçue. C'est un affront vis-à-vis de son grand-père qui estime que ce n'est pas la place d'une fille. D'abord, les quatre soeurs décident de se rebeller en faisant grève. Et puis, elles font leurs valises et quittent la maison en cachette, au petit matin. C'est un ultime mouvement de rébellion face au patriarche tyrannique. Mais la vie dehors est-elle plus enviable que dans cette maison étouffante ?

Un meilleur avenir dehors ?

À travers ce récit, Lucie Quéméner explore les identités franco-chinoises, qui font forcément écho à sa propre histoire puisqu'elle est née d'un père français et d'une mère chinoise. Si l'histoire est centrée sur ces quatre soeurs et leurs désirs de liberté, quelques chapitres plus courts s'attardent sur l'histoire des autres femmes de la famille. On suit leur mère, qui a elle aussi tenté la fugue pour aller s'installer avec celui qui sera le père de ses enfants. On suit leur grand-mère, venue ici dans le cadre d'un mariage arrangé et qui a du renier sa culture pour s'intégrer. L'autrice explore le déracinement sous toutes ses facettes, et c'est presque didactique lorsque l'on ne connaît pas ce sentiment.

Je parlais plus haut des graphismes : ils sont entièrement au crayon à papier, un choix qui d'habitude me plait beaucoup. Ici, le trait se fait parfois hasardeux, vagabond, ce qui m'a empêché de vraiment l'apprécier. J'ai beau avoir été très touchée par Baume du Tigre, je ne peux pas dire que j'ai été, à terme, charmée par le dessin. Mais il sert l'histoire, tout en sobriété. On s'immerge dans l'histoire de ces quatre filles, qui font un peu penser aux protagonistes du Virgin Suicide de Sofia Coppola. Ces soeurs ne sont pas des rebelles dans l'âme, elles sont même plutôt sages, mais sous la pression du patriarche, elles vont se lancer dans un projet fou et nécessaire. Au fil de l'histoire, on les voit se ré-appoprier à leur façon la culture de leur mère, et c'est si touchant qu'il est difficile de ne pas avoir les larmes aux yeux.

Baume du tigre mérite bien son prix des étudiants France Culture : de façon sensible, avec un ton très juste, Lucie Quéméner raconte le déracinement. L'idée de le raconter à travers le regard de plusieurs femmes rend le tableau d'autant plus complet, d'autant plus fascinant. Un très beau premier album, à découvrir chez Delcourt.

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