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par Alfro - le 19/01/2015
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par Alfro - le 19/01/2015

Édito #25 : Bande dessinée et dessin de presse, ces faux-frères

L'attentat perpétré chez Charlie Hebdo a eu de très nombreuses conséquences, comme seul un événement historique tel que celui-ci peut en provoquer. Parmi les récupérations politiques, les interrogations profondes et la remise en question d'un système, un effet bien plus prosaïque (et qui n'intéresse sûrement que notre microcosme de lecteurs de cases et de bulles) s'est offert à notre regard, la disparition de la frontière entre la bande dessinée et le dessin de presse.

Dans l'élan populaire qui suivit, de nombreuses voix se sont élevées pour demander à ce que le Grand Prix d'Angoulême revienne d'office à Charlie Hebdo, passant outre le vote entre les trois finalistes qui ont été annoncés la semaine dernière (au temps pour le principe démocratique). C'était sans doute oublier que le Festival d'Angoulême avait déjà créé dans la foulée un Prix Charlie Hebdo de la Liberté d'Expression, déjà plus à même d'honorer le travail de l'hebdomadaire poil à gratter.

C'est aussi oublier qu'en 2013, le Grand Prix était déjà revenu à Willem, dessinateur satirique qui a collaboré avec Charlie Hebdo alors que celui-ci s'appelait encore Hara-Kiri et qui fut même rédacteur en chef de Charlie Mensuel, papier apparenté à l'hebdomadaire et qui lui était un journal qui était pour le coup vraiment consacré à la BD (il fusionnera plus tard avec Pilote). S'il fut honoré du Grand Prix, c'est qu'en plus de ses dessins de presse qui écorchaient allégrement la classe politique, il était aussi l'auteur de nombreuses bandes dessinées.

Car l'une des différences inhérentes entre ces deux genres se trouve dès l'intitulé : BANDE dessinée. En effet, le principe de la BD réclame une séquentialité totalement absente du dessin de presse (en dehors de quelques cas notables). Pour faire une BD, il faut un enchainement de cases, qui induisent un mouvement au moins temporel, là où le dessin de presse préfère l'image unique, coup de poing, l'argument graphique qui doit rester dans l'esprit du lecteur et qui illustre souvent le propos d'un article atenant.

Le dessin de presse est d'ailleurs par nature plus vieux que le 9ème Art, puisqu'il apparait dès les premiers journaux, pour palier à l'absence d'une photographie qui changera toute la donne en envahissant le monde de l'édition. Dès leurs débuts, ces illustrations qui traitent de l'actualité vont allégrement dériver sur un mode caricatural, grossissant le trait des "puissants", se moquant des conventions et étant le parangon d'une liberté d'expression dont on ne mesure aujourd'hui que la portée symbolique (il ne faudrait pas qu'elle soit trop effective tout de même). On se souviendra par exemple du poids qu'ont eu les dessinateurs de presse lors de l'affaire Dreyfus, il y a plus d'un siècle de cela.

Le dessin de presse n'est pas de la bande dessinée. Ce serait ne pas en comprendre le sens et la puissance inhérente que de le considérer que comme le dérivé d'un art qu'il a pourtant précédé. Pour en revenir à l'hommage à lui-même, se remémorer de l'œuvre de Cabu, Charb, Wolinski, Tignous ou Honoré (ou de la déclaration d'intention d'un des survivants de l'attaque), de son impact, du goût amer qu'elle pouvait laisser, des remous conflictuels qu'elle cherchait à provoquer, violentant un lectorat qui risquerait de devenir trop apathique devant la réalité, ce sera toujours plus dans l'esprit de leur canard qu'un prix accordé unilatéralement sous le coup de l'émotion. La prise de recul, arme nécessaire des caricaturistes de tous bords, nous conseillerait sûrement de se pencher sur le propos véritable d'un journal qui se foutait bien de l'institutionnel.

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