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par Republ33k - le 23/02/2015
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par Republ33k - le 23/02/2015

Édito #30 : tels pères tels fils ?

Biberonné aux comics depuis mon plus jeune âge, j'ai toujours eu l'habitude de voir mes personnages préférés prendre vie sous les crayons d'artistes différents. Quand on est jeune et innocent, on ne voit rien d'anormal là dedans, mais l'âge passant, on se demande si cette caractéristique plutôt typique de la bande-dessinée américaine est bien raisonnable. Surtout quand on a dévoré, avec la même passion, des albums de Lucky Luke et d'Astérix, dans une jeunesse riche en cases et en phylactères...

Des personnages cultes qui passent entre les mains de milliers d'artistes, la bande-dessinée amériaine en voit défiler des tas. On pourrait même considérer cela comme un des piliers de son fonctionnement, puisque la majorité des lecteurs de comics consomment maintenant depuis plus de 70 ans plusieurs versions d'un même héros, qui se définit éditorialement au fil des équipes créatives. Il est ainsi très facile de distinguer de vraies périodes dans la vie éditoriale d'un personnage, et il n'est donc pas rare de se référer à la version Kirby des 4 Fantastiques ou à celle de Miller sur Batman, pour ne donner que deux exemples.

Mais du côté de la bande-dessinée franco-belge, le constat est bien différent. On ne reviendra pas sur les différences culturelles qui font de ces deux "variantes" de la BD ce qu'elles sont, mais essayons plutôt de les comparer à travers le prisme qui nous intéresse aujourd'hui : les équipes créatives qui défilent sur un même personnage ou un même univers. Spontanément, on serait tenté de répondre que les comics, dans l'immense majorité des cas, font défiler des équipes créatives au fil des ans sur leurs personnages et leurs univers les plus célèbres, tandis que le franco-belge s'en tient à la vision des créateurs sur la série ou les héros qu'ils ont créés. Mais en poussant un peu plus la réflexion, on se rend compte que les choses sont un peu plus compliquées que ça.

Fidélité gauloise

Mettons de côté le rythme de production et de sorties, radicalement différents entre les deux origines, et intéressons-nous plutôt à quelques exemples fameux. Pour commencer, l'irréductible Astérix. Lui qui fît ses débuts en 1959 sous la plume de Goscinny et le crayon d'Uderzo verra  ses aventures se poursuivre pendant 17 ans sans aucun changement créatif.  A titre d'exemple, c'est 10 ans de plus que le plus long run en duo de l'histoire des comics, orchestré par Brian Michael Bendis et Mark Bagley sur Ultimate Spider-Man. Par la suite, Uderzo poursuivra seul les aventures du gaulois suite à la disparition de Goscinny, de 1977 à 2009. Et pendant ces longues années, Astérix n'a changé ni de bouille ni de direction artisitque. Jusque là, rien de bien surprenant, puisque c'est l'un des pères fondateurs de la série qui la prolongeait.

Mais là où les choses deviennent intéressantes, c'est lorsque Jean-Yves Ferri au scénario et Didier Conrad au dessin s'emparent dans la série pour Astérix chez les Pictes, succès énorme de l'année 2013 tiré à plus de 5 millions d'exemplaires, et bien accueilli par le public et la critique qui retrouvent l'Astérix de leurs souvenirs après un Ciel lui Tombe sur la Tête un peu déroutant. On voit bien dans cette illustration l'amour du public franco-belge pour ses classiques. Et si je dois avouer que j'ai beaucoup apprécié l'album de Ferri et Conrad, mon cœur de fan de comics se demande toujours si un peu de changement ne serait pas préférable.

"You can change, everybody can change !"

Et du changement, il y en a eu dans le franco-belge, prétendre le contraire serait nier des tentatives plutôt notables. Le meilleur exemple reste Spirou, un personnage créé par Rob-Vel mais qui s'est vite développé dans un univers assez vaste pour accueillir de nouveaux artistes. C'est d'ailleurs l'une des rares séries franco-belge où on distingue beaucoup plus facilement les époques, marquées par l'arrivée d'artistes se différenciant de leurs pairs. On notera notamment Franquin qui bouscula un peu les codes du groom rouquin. La diversité de Spirou passera plus tard par l'apparition de nouvelles séries comme Le Petit Spirou et l'incontournable Spirou et Fantasio, ainsi qu'à travers de nombreux produits dérivés comme deux séries animées et des jeux-vidéo. Un développement qui n'est pas sans rappeler celui des personnages de comics, et qui est donc tout à fait comparable à la bande-dessinée américaine. Même si la différenciation entre les équipes créatives passe avant tout par le détail et les changements de ton entre les différentes séries, d'avantage qu'à travers un radical changement dans le dessin ou le scénario.

Astérix et Spirou, deux personnages aux développements différents qui semblent se synthétiser dans l'exemple de Lucky Luke. D'un côté, on retrouve chez les aventures du cowboy un attachement à la recette orginale signée Morris et Goscinny, mais de l'autre, on note l'apparition de nombreux scénaristes dans la vie éditoriale du personnage, et l'apparittion de séries (Lucky Kid par exmple) et de produits dérivés qui auront tendance à bousculer l'identité du héros. Mais encore une fois, rien d'assez marquant pour relever un vrai changement dans l'histoire du personnage.

"La fidélité dans la sottise est une sottie de plus" - Vladimir Jakélévitch

Même lorsqu'un checkpoint lui est proposé, le franco-belge semble refuser de se séparer de ses pairs. Prenez XIII par exemple, le premier cycle est intégralement scénarisé par Jean Van Hamme et dessinée par William Vance, à l'exception d'un tome 18 dessiné par un Jean Giraud en forme de guest star. Et malgré l'apparition d'un second cycle, quatre ans après le premier, avec un nouveau scénariste (Yves Sente) et un nouveau scénariste (Youri Jigounov), la série est restée extrêmement proche de ses origines, même si une gamme de spin-offs permet d'apporter un peu de fraîcheur à l'ensemble.

D'où vient cette obsession de fidélité ? Sans doute de la paternité des séries. Outre-atlantique, c'est à l'éditeur qu'appartiennent les personnages, et non à ses créateurs. Et bien que des exceptions subsistent, dans le cas des comics comme du Franco-Belge, je pense que ce lien originel implique forcément un rapport très différent aux premières équipes créatives . La continuité se trouverait alors dans le respect des anciens pour les francophones, et dans la cohérence des histoires pour les américains.

Qu'on soit d'accord ou non avec cette analyse, il faut reconnaître que le franco-belge comme le comic-book sont en pleine crise depuis plusieurs années déjà, et pour des raisons créatives évidentes. D'un côté, les comics tentent la carte de la surprise en poussant toujours plus loin la réivention de leurs personnages et de leurs univers, quitte à les redémarrer à zéro, tandis que le franco-belge pousse toujours à grands coups de marketing des classiques (le fameux "fond de catalogue"), dont le dessin et le scénario ont a peine évolué depuis des années. A croire que dans un cas comme dans l'autre, l'issue artistique et/ou créative est bouchée. Faudrait-il qu'on se retrouve avec des Asterix dessinés par des artistes très différents, comme ce fût le cas à l'occasion de l'album spécial Uderzo croqué par ses amis, pour s'en sortir ? Serait-il temps de ressortir la recette de Batman par Bill Finger et Bob Kane pour revigorer le marché ?

 

 

Les leçons pour l'avenir sont souvent cachées dans le passé.

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