Et pourtant elles dansent : un reportage BD utile et nécessaire mais qui souffre des faiblesses du genre

Quand une bande dessinée possède une réelle utilité sociale, objective, peut-on la critiquer? Quand son sujet, sa démarche, mériterait un soutien sans faille, doit-on passer sous silence les faiblesses de construction? C’est la question que pose Et pourtant elles dansent, un album signé Vincent Djinda et publié par Des ronds dans l’O.
Une utilité sociale, qu’est-ce donc ? C’est le fait d’apporter un véritable plus à la vie en société. Vincent Djinda a fait un choix fort. Il a décidé de donner la parole à des personnes que l’on entend que très peu. Des femmes, quand souvent ce sont les hommes qui prennent le devant de la scène. Des réfugiées, quand l’esprit de solidarité s’étiole dans notre pays. À ce double titre, il n’est pas surprenant de retrouver l’éditrice Marie Moinard derrière cette bande dessinée. Elle a su repérer l’intention juste et grande et elle lui a permis de s’exprimer. Cependant, l’auteur et son éditrice n’ont pas su éviter un certain écueil, dans cette formidable intention : celui du reportage BD statique. Terrible critique, quand le titre du livre appelle au mouvement.
Ce que cet album est...
Quelle est la proposition de l’auteur ? Retranscrire la parole de dix femmes, fréquentant toutes l’association valentinoise (de Valence, dans la Drôme) Femmes en Luth. En effaçant toute trace de sa présence à lui, il les interroge, les fait parler d’elles et de leur parcours, les observe dans le cadre de leurs activités collectives. Ce faisant, il montre à nouveau ce que certains ne veulent pas retenir. Que ces migrantes sans-papier, sont les forces vives de leur pays dont le départ sont comme des saignées pour l’avenir de celui-ci. Que ces femmes affrontent des situations inhumaines alors qu’elles fuient déjà la barbarie. Voilà ce qu’est cet album, dans son meilleur.
Mais malheureusement, la forme pêche. Ces témoignages sont livrés “face caméra”, comme des témoignages télévisuels. S’il y a un péché aujourd’hui dans la BD reportage, c’est bien celui d’oublier qu’il n’est pas sonore, qu’il n’est pas mouvement. Et que ce qui passe à l’écran, devient vite lassant en bande dessinée. La BD, c’est l’art de l’ellipse, c’est l’art de l’enchaînement. C’est cet art qui permet de composer et recomposer la réalité sans limite. Vincent Djinda et son éditrice oublient tout cela. Les pages s’empilent, mais sans rythme. Les témoignages se superposent et s’effacent.
Ce que cet album aurait pu être
Pourtant, la matière était là. Rien que le titre est formidable. On voudrait y mettre des intonations, des émotions dans la voix. Et pourtant… Pause surprise dans la voix. Malgré toutes les difficultés… Elles dansent… La voix se gonfle de fierté face à cette découverte, comble du superflu face aux violences.
Et cette promesse faite par le titre, elle n’est pas assez présente. On aurait aimé que cette danse vienne ponctuer les témoignages. Que les phylactères disparaissent après nous avoir abreuvés d’informations. Qu’ils laissent place à l’expressivité silencieuse des corps en mouvement. Car la danse, c’est l’oubli, c’est la transe, c’est l’esprit qui s’échappe de la réalité pendant quelques instants. Et cela, la bande dessinée peut le restituer à merveille. D’autres l’ont déjà fait. Que l’on veuille respecter le témoignage de chacune de ces femmes, soit. Mais en offrant des respirations au lecteur. En lui offrant d’imaginer aussi ce que les corps auraient à lui dire. Et en transformant ces temps en pulsations. Rythme de musiques, rythmes de coeurs remplis de vie. Il y a un peu de ça, dans cet album. Mais ce n’est pas exploité au mieux du potentiel du récit.
Et pourtant… lisez-le. C’est un travail sérieux, engagé, sincère et rare. Il n’est pas dénué de défauts, certes, mais ses intentions valent bien qu’on fasse l’effort. Il y a de vraies personnes derrière ce livre. Un auteur et une éditrice, bien sûr, mais surtout, il y a des femmes dont les capacités de résilience, dont la force face à la dureté de la vie, doivent êtres de vraies leçons pour chacun d’entre nous. Et pourtant elles dansent est disponible chez Des ronds dans l'O au prix de 28 euros.
Par Yaneck Chareyre
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