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par Malo - le 23/07/2019
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par Malo - le 23/07/2019

Les auteurs du ''Dernier Pharaon'' reviennent sur ce hors-série surprenant

À l’occasion d’une masterclass au MK2 Bibliothèque à Paris, François Schuiten, Thomas Gunzig, Jaco Van Dormael et Laurent Durieux ont évoqué les coulisses du premier hors-série Blake et Mortimer.

Le samedi 29 juin, pas moins de quatre auteurs font face à un public attentif, prêt à braver les fortes chaleurs pour assister à la conférence. Avant de prendre la parole, ces derniers projettent deux courts-métrages à l’auditoire. Le premier d’entre eux, Hellville, semble de circonstance : dans une ville caniculaire où des voitures écologiques fonctionnent à l’aide de pédales, l’arrivée d’une femme à bord d’un véhicule motorisé provoque une course folle à la pollution, au gaspillage… Quel rapport avec nos deux héros ? Et bien selon Durieux -qui a travaillé sur ce film d’animation- les deux œuvres partagent l’idée d’un certain « retour à la lenteur, à la décroissance ».

La décroissance, il en est en effet bien question dans ce tome un peu à part. Sans divulgâcher l’histoire -dont on ne saurait que vous recommander la lecture-, il est ici question de Bruxelles laissée à l’abandon et d’un choix à effectuer qui ne sera pas sans conséquence sur l’avenir de chacun. Le récit porte un réel message, voulu par l’équipe créative. « Les Blake et Mortimer ont toujours été politiques. Auparavant, [Blake et Mortimer] sauvaient le monde en le conservant. Désormais, le monde a besoin de changer » explique Gunzig, avant que Van Dormael n’enchérisse: « Les préoccupations ne sont plus celles des années 50 ».

Des personnages plus vieux, un monde plus moderne

Il est vrai que nos deux protagonistes traînent désormais derrière eux des décennies d’existence, qui les obligent à se renouveler pour rester pertinents. Comme les autres, François Schuiten en a bien conscience : « Les récits qui nous parlent sont ceux qui parlent d’aujourd’hui ». Mais comment se renouveler avec un tel héritage ? Paradoxalement, le vieillissement des personnages principaux leur apporte une nouvelle jeunesse. Mortimer est désormais à la retraite tandis que la moustache de Blake a perdu de ses couleurs (mais pas de sa superbe). Questionné sur le pourquoi de ce choix, Schuiten arbore un sourire et se montre franc : « parce qu’on a vieilli déjà... ».

On pourrait simplement se dire que du temps a passé depuis Le Mystère de la Grande Pyramide -sur lequel le Dernier Pharaon s’appuie pour bâtir sa trame- et qu’il est donc nécessaire de montrer cette ellipse. Mais cela va plus loin. Les Blake et Mortimer dont nous suivons les aventures ont changé depuis l’époque d’E.P. Jacobs, physiquement certes, mais aussi vis-à-vis du monde dans lequel ils évoluent. Un monde maintenant plus proche de la fin du XXe siècle, aux yeux duquel Mortimer a perdu sa crédibilité et où Blake ne cesse de lutter contre sa hiérarchie.

Marquer la rupture

Reprendre une série comme Blake et Mortimer n’est pas un exercice facile : Jean-Luc Cambier et Eric Verhoest y ont même consacré un livre, L’Héritage Jacobs. Si les changements, graphiques comme scénaristiques, feront grincer les lecteurs les plus conservateurs, ils sont indispensables à l’intérêt d’un tel hors-série. Les auteurs, parfaitement conscients de cela, souhaitaient marquer une rupture avec les précédents albums.

Lorsqu’on leur demande s’ils ont relu Le Mystère de la Grande Pyramide, Laurent Durieux, s’exclame « Surtout pas ! ». De peur d’être influencés, tous ont évité de se replonger dans ce qui avait déjà été fait, à l’exception de Thomas Gunzig, qui avoue être le plus scolaire de la bande. Pas question de reprendre la ligne claire : visuellement, l’approche adoptée est inspirée de l’expressionnisme, avec « des couleurs pop un peu osées ». L’unique référence visuelle est un ciel coloré aux teintes grise/violette/rose à la page 27, « seul clin d’œil que j’ai glissé à Jacobs ».

Schuiten raconte la genèse du projet : « il fallait commencer par quelque chose de visuel ». Pour les orienter : un projet d’E.P.J., qui prévoyait de raconter une histoire au Palais de Justice de Bruxelles. Projeté sur grand écran, le dessin qui a servi de point de départ : Mortimer avançant avec prudence et crainte vers une entrée du Palais, d’où jaillit une mystérieuse lumière. Les plus attentifs penseront à la dernière case de la page 12, qui en est une version définitive et quelque peu modifiée.

Des repérages à Bruxelles et en Égypte

Le Palais est un personnage à part entière dans le récit, qui a son passé, ses mystères et sa propre destinée. Mis en valeur à de nombreuses reprises, il trône avec noblesse dans la case préférée d’une bonne partie des auteurs, portant un manteau de neige avec autant de prestance qu’un blanc manteau d’hermine.

Ces dessins ont été réalisés avec minutie à l’aide de repérages. Le lecteur ou la lectrice peut ainsi visiter en détail le bâtiment, de la salle des pas perdus à la coupole, en passant par la cour de cassation. À la manière de Jacobs, qui s’utilisait comme modèle pour dessiner Mortimer, ses successeurs n’ont pas hésité à prendre la pose. L’équipe a également pu se rendre en Égypte pour se documenter sur l’extérieur et l’intérieur de la pyramide de Khéops.

Un univers inadaptable ?

Bientôt arrivée à sa conclusion, la discussion se tourne vers les inexistantes adaptations cinématographiques de la série. Jaco Van Dormael, issu du septième art, répond carte sur table : « Je ne sais pas. Moi, je ne saurais pas l’adapter. ». Certaines limites sont apparentes : en ce qui concerne la ville de Bruxelles à l’allure post-apocalyptique, « au cinéma, on ne pourrait pas le faire. Trop cher. ».

Mais pour le réalisateur de Mr. Nobody, le problème est plus profond : certaines œuvres sont tout simplement meilleures sur un support et ne pourraient pas être au niveau si elles venaient à être adaptées sur un autre. Il explique par ailleurs que passer du cinéma à la bande dessinée lui a demandé du travail, « le voyage de l’œil n’étant pas du tout le même ».

La rencontre touche à sa fin. Alors qu’on leur demande ce qu’ils espèrent pour leurs lecteurs, François Schuiten se confie : « J’adore quand un lecteur me décrit une case qui n’existe pas, me parle des couleurs d’un album en noir et blanc. Cela montre qu’il s’approprie le récit et fait fonctionner son pouvoir de l’imagination ».

Si par la réactualisation qu’elle fait de ses personnages, l'équipe du Dernier Pharaon permet de continuer à faire vivre Blake et Mortimer, il semble toutefois important de rappeler que les personnages de bandes dessinées font quant à eux difficilement vivre leurs auteurs : poussé par l'envie d'éviter un "album de trop" mais aussi contraint par la précarité du métier, François Schuiten a annoncé dans une intervew pour ActuaBD que cet album serait son dernier.

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