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par LiseF - le 13/09/2018
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par LiseF - le 13/09/2018

Écoles d'art : les élèves sont-ils sous pression ?

Ces derniers jours sur les réseaux sociaux, on a pas mal parlé de l'École Émile Cohl. Basée à Lyon, cette institution privée forme depuis plusieurs années les élèves à l'infographie 3D et 2D, à l'animation, à la bande dessinée mais aussi aux jeux vidéo. Et si l'école s'est retrouvée sous les feux de la rampe, c'est parce que sur son site internet de promotion aux États-Unis, une photo de classe a été retouchée... Pour y ajouter des élèves noirs !

Plus de diversité grâce à Photoshop

L'image n'est bien sûr plus en ligne sur le site, mais vous pouvez la retrouver ci-dessous en cliquant sur la capture.

On remarque que la peau de certains élèves a été foncée, et même que deux femmes noires ont été ajoutées sur la photo. Suite aux multiples remarques, l'école s'est fendue d'un communiqué de presse sur son site, expliquant que ce n'était pas son équipe qui avait transformé la photo. Celle-ci avait été fournie au prestataire en charge de la conception du site pour promouvoir la nouvelle branche de l'institution à Los Angeles, qui a réalisé le montage. Dans son communiqué, l'école déclare avoir rompu le contrat du prestataire et s'être excusée auprès des personnes concernées.

Mais le mal était fait : sur les réseaux sociaux, de nombreuses voix se sont élevées contre Émile Cohl, blâmant sa pédagogie de manière générale.

Des profs brutes de décoffrage, des élèves fatigués et sous pression... Est-ce vraiment propre à Émile Cohl ou typique des écoles d'art ?

Une nécessité de rendement

Pour le savoir j'ai voulu fureter du côté d'autres écoles : Adrien* est aujourd'hui auteur de BD. Il a étudié à Rubika à Valenciennes et garde globalement un mauvais souvenir de cette expérience.

"Dans les milieux créatifs on a tous des histoires de profs qui ont dit des trucs du genre « si c’est pour bosser comme ça autant arrêter et changer de métier ». Typiquement j'avais un prof de dessin, il aimait beaucoup la discipline à la dure. En fin d'année de prépa, j’étais clairement pas dans les plus mauvais de ma promo, je bossais bien. Un jour j’ai ramené un croquis de préparation et il m’a dit « soignez vos croquis parce que c’est pas parce qu’on sait pas dessiner qu'on peut pas être soigneux... » C'est d'autant plus rageant que c'était lui qui était censé m’apprendre à dessiner !"

Adrien insiste sur la compétition, très présente dans les écoles privées d'art. À Rubika comme à Émile Cohl, il y a un système de classement qui peut avoir un effet toxique sur les étudiants. Selon Adrien, mieux valait ne pas être en bas du classement car c'est toute la réputation de l'école qui était en jeu. Il donne l'exemple des films de fin d'étude, qui constituent une véritable vitrine pour l'école et qui faisaient l'objet de décisions parfois brutales.

"On a eu des productions de films qui se sont arrêtées brusquement, sur lesquelles les gens voulaient bosser, mais c’était pas la pub que voulait l’école. Tu peux expliquer tous ces comportements, tous ces choix, de la part des responsables de la communication, mais c’est difficilement pardonnable de la part d’une équipe pédagogique."

C'est là que le bât blesse : pour survivre, l'école a besoin de fonds. Et ces fonds viennent en partie de l'inscription de nouveaux élèves. La mauvaise publicité n'est donc pas permise, si bien que les plus mauvais élèves peuvent être mis de côté pour s'assurer d'un bon catalogue en fin d'année. Si Adrien a été choqué par la façon dont certains profs pouvaient lui parler, Clarisse*, ancienne élève à Émile Cohl et aujourd'hui illustratrice, est plutôt partisante de ce type de pédagogie.

"J'ai eu des critiques, mais je l’ai pas mal pris parce que c’était vraiment de la merde ce que je faisais en arrivant. Y’a eu quelques fois où c’était un peu gratuit, mais sinon c’est des critiques, t’es pas là pour te faire complimenter. Je suis assez pour la souffrance pour progresser : encore aujourd'hui quand je bosse je me dis "c’est nul je refais c'est nul je refais" et ça me permet d’avancer."

Des élèves parés dès la sortie de l'école

Selon Clarisse, la méthode peut certes ne pas convenir à certains élèves, mais fait largement ses preuves.

"En quatre ans j’ai vraiment progressé en dessin, j’ai gagné 25 à 30 ans de pratique et ça me permet d’être professionnelle, de gagner ma vie avec le dessin. Ils mettent tellement l’accent sur la technique que quoi qu’il en soit si tu va jusqu’au bout du diplôme, tu as une base qui est bonne pour l’extérieur, donc tu peux prétendre à te faire embaucher."

Marion enseigne la perspective, la géométrie et l’étude doc à Émile Cohl. Au sujet des critiques parfois blessantes, elle fait remarquer que souvent les intervenants sont avant tout des professionnels du milieu (les élèves ont eu par exemple des cours de Lewis Trondheim ou encore Jérôme Jouvray). 

"On est en face de personnes qui sont des êtres humains, qui ont souvent un autre métier et qui ont pas toujours le tact parce que c’est pas leur métier premier. Ils font leurs retours avec ce qu’ils voient, avec leurs propres jugements."

Marion a connu l'école des deux côtés : avant d'être prof, elle a d'abord été élève. Elle explique avoir elle aussi reçu des remarques, qu'elle a pris soin de ne jamais prendre personnellement. Elle donne l'exemple de cet intervenant qui lui mettait systématiquement sept sur vingt, parce que leurs styles étaient très différents. L'expérience ne l'a pas démoralisée ni empêchée de progresser. En tant que prof, elle fait de son mieux pour être franche sans être blessante. 

"Il y a quelque chose qui est hyper important dans ma relation avec les élèves c’est d’être sincère avec eux. Après si j’ai un élève fragile en face de moi, je vais pas lui parler de façon brutale. Bien sûr ça peut m’arriver de faire des erreurs, de blesser les élèves... Si je trouve que ce qu’il a fait est pas bon, je vais lui dire, mais sans le dénigrer. En lui faisant comprendre que c’est mon point de vue, d’expérience, et que je vais me positionner avec cette expérience-là."

Pas de doute, que ce soit à Émile Cohl ou ailleurs, il faut quand même avoir les nerfs bien accrochés pour se lancer dans une école d'art privée. Les coûts d'inscriptions ne sont jamais donnés : Clarisse explique avoir payé près de 7200 euros pour la première année, et 7800 euros pour la dernière. Durant ses études les tarifs ont augmenté, et ont continué à augmenter après son départ. Même son de cloche pour Adrien, qui dit avoir déboursé entre 6000 et 7000 euros l'année, lui aussi avec des augmentations en cours de route.

Le problème au final, c'est que la pression est forte une fois sorti de l'école : beaucoup d'ex-étudiants débutent dans la vie active avec un prêt, dans un secteur extrêmement difficile et concurrentiel. Un constat qui est général dans le milieu des écoles d'art privées, et pas seulement chez Émile Cohl.

*Pour des raisons d'anonymat, les prénoms de ces personnes ont été changés

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