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par Sullivan - le 2/12/2013
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par Sullivan - le 2/12/2013

Édito #1 : Pirater, c'est tromper ?

Bonjour et bienvenue sur 9emeArt.fr pour cette nouvelle semaine, synonyme de nouvelle rubrique commune à l'ensemble du réseau ARTS. Les règles sont simples et sont appelées à être respectées : il n'y en a (presque) pas. Le principe est celui-ci : nous vous donnons rendez-vous tous les lundi sur COMICSBLOG.fr, SyFantasy.fr et 9emeArt.fr pour un billet d'humeur sorti tout droit de nos têtes, sur un ton libre et sans la moindre langue de bois. Les sujets seront aussi variés que le spectre d'actualité que nous couvrons avec vous chaque jour, et sont bien entendu appelés à vous faire réagir, en commentaires, sur Twitter ou sur notre page facebook. Lâchez-vous, ceci est un espace de débat ouvert. 

Édito #1 : Pirater, c'est tromper ? 

Ce week-end se tenait à Paris un festival BD dont nous vous avions parlé plus longuement ici-même la semaine passée, que des empêchements variés nous ont empêché de découvrir. En revanche, grâce à la magie des réseaux sociaux, Mast (Marvel Infinite) et MarcoCartoon (Professeur Cyclope) se sont fait l'écho d'une conférence pour le moins approximative sur le marché du numérique pour en arriver à un constat aussi triste qu'alarmant : le "digital" est aujourd'hui une chimère, que beaucoup tentent de s'approprier en tirant la couverture et en déblatérant un nombre d'énormités aussi grosses que l'écart qui sépare les ventes physiques des ventes digitales. Pour autant, qui dit numérique parle intrinsèquement du piratage, jumeau maléfique d'une pratique que les éditeurs aimeraient démocratiser, afin de toujours réduire le nombre d'intermédiaires (et les coûts) entre eux et leur lecteur, en bout de chaîne. Évidemment, il y aurait là aussi matière à débattre, mais intéressons-nous aujourd'hui aux vilains flibustiers qui téléchargent sans vergogne des séries majeures, créant un manque à gagner évident pour les malheureuses insitutions de publication.

Le monde de la Bande Dessinée Franco-Belge semble en retard sur le marché du numérique, c'est un fait. Devancée par nos cousins américains au point de les accueillir chez nous avec le satellite Français de Comixology, la production Française tente tant bien que mal de jouer elle aussi aux apprentis sorciers, Thorgal en étant le dernier avatar en date. Et si le problème semble venir d'en haut, il serait inconsidéré que de "nous" considérer comme à la traîne sur la relation qu'entretient l'art séquentiel avec Internet dans l'héxagone. Balak et son turbomédia, LastMan et sa publication gratuite sur la toile, Professeur Cyclope et son détournement du circuit classique Artiste - Éditeur - Distributeur - Commerçant - Client, où ce sont le premier et le dernier maillon de la chaîne qui sont le moins lésés, et j'en passe, la France est à la page en matière de numérique. Tellement que le week-end dernier, c'était à un grand démon de faire son retour : le piratage. Chiffres (nébuleux et douteux, un classique dans l'industrie) à l'appui, nous apprenions que les pauvres Astérix et Albert René seraient victimes de plusieurs milliers d'Edward Kenway en herbe. 

Astérix chez les pictes: 40000 ex papier vendus. Amazon Kindle: 120ème et quelques du top ventes. Sur un site Torrent: 23000 téléchargements

— Mast (@HeyMast) 30 Novembre 2013

D'où sortent ces données sur les téléchargements torrent ? Personne ne le sait, et personne ne le saura jamais, mais les 5 chiffres sont lâchés. Vilains pirates ! Quelques vérifications plus tard, sur les sites en question, Astérix et son pdf ne sont pas un succès, et une petite centaine d'irréductibles lecteurs se le partagent pour l'amour de la culture.

Et c'est là que le marché de la BD doit faire son auto-critique, comme a pu le faire le marché du disque, couvert par des amitiés dans les plus hautes sphères de l'état qui ont tenté tant bien que mal de défaire un système qu'ils ne comprennent pas (et, plus grave, qu'ils ne cherchent pas à comprendre), à grand renfort de lois stériles, Hadopi en tête. Les données sont simples : la surproduction ne permet pas aux lecteurs de se payer leur dose de Bande Dessinée, particulièrement en temps "de crise". Il ne faut pas s'étonner (il faudrait même s'en réjouir) de voir des gens se jeter sur des albums en PDF. Ce sont ces mêmes gens qui, en festival, viendront dépenser leurs sous sur votre stand, pour obtenir une dédicace de votre auteur. 

Ce sont les mêmes jeunes qui, lorsqu'ils avaient 13 ans, téléchargeaient des centaines et des centaines de .zip remplis de scans de Mangas, parce qu'il leur était impossible d'acheter un volume de One Piece vendu au prix d'un menu déjeuner dans un bistro. Ce sont eux qui dépensent la totalité de leurs économies dans des volumes reliés, parfois commercialisés à 15€ pièce. Laissez passer cinq ans, et ce seront eux qui dépenseront des fortunes pour récupérer l'intégralité des albums téléchargés au sein de leur bibliothèque, qu'elle soit numérique ou pas. La Bande Dessinée est un art populaire, il serait bon de ne pas l'oublier, enfermé dans sa tour d'ivoire. Le piratage est un problème, mais contrairement au dédain du public (un lecteur de BD est un lecteur de BD, qu'il ait sorti sa carte bleue ou pas), il a le mérite de cultiver et de faire avancer des générations. C'est aussi un acte militant, au même titre que l'achat chez un libraire indépendant. 

Le célèbre écrivain Paulo Coelho, par exemple, a publié sur son site Internet des liens permettant de télécharger gratuitement ses textes en contournant les droits d'auteur. Il a constaté que ceux qui lisent ses œuvres gratuitement et qui les apprécient vont ensuite les acheter, a-t-il déclaré récemment. Rien qu'en Russie, il a ainsi doublé les ventes de ses livres.

Combien d'auteurs, combien d'éditeurs, combien de libraires, combien de citoyens téléchargent, qu'il s'agisse de musique, de cinéma, de romans ou même de BD ?  80%, 85% ? Il est temps de regarder la vérité en face et d'en débattre, plutôt que la combattre bêtement sans même essayer de la comprendre. L'important, c'est d'humaniser à nouveau le rapport entre l'éditeur et le "consommateur", de redonner à ce dernier une importance au sein de l'échiquier qui représente la vie d'une BD. Plus largement, le numérique est une chance pour le 9ème Art (en témoigne les opérations commerciales qui en découlent, même si elles sont réalisées avec des partenaires discutables) et ce n'est ni la politique de l'autruche, ni les boucliers friables que sont les plateformes de téléchargement légales qui changeront la donne. Le pirate est la plupart du temps votre meilleur client, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Et malgré son statut de tête-de-turc, ce n'est pas lui qui est aujourd'hui la cause des maux dont souffre un milieu sclérosé par une opacité et des organisations pyramidales dangereuses, en particulier lorsque le carburant de cet énorme moteur reste l'art. L'important, c'est de donner envie à de nouveaux lecteurs de s'intéresser à la BD, qu'ils passent à la caisse ou pas dans un premier temps. La musique a su faire sa mue et sortir grandie grâce à Internet et MySpace, Spotify, Deezer entre autres, au point d'afficher une croissance à 6% cette année. L'heure de la Bande Dessinée est désormais venue, et il est grand temps d'ouvrir la réflexion, ensemble. Le piratage un porte-voix, mais sûrement pas une plaie. C'est lui qui forme vos lecteurs de demain.

Pour terminer avec ce premier billet, sachez que cet article n'est absolument pas là pour vous encourager à pirater de la BD. Moi-même, je ne l'ai jamais fait, en dehors de scans de Naruto, Bleach et One Piece dans mes jeunes années où je n'avais pas les moyens de m'acheter des mangas. Par exemple, nous refusons de livrer des critiques à partir d'exemplaires PDF et devons souvent patienter une semaine de plus pour recevoir l'album dont nous pourrions vous parler une semaine plus tôt, dans une expérience qui, à mon humble avis, reste infiniment moins grisante que la lecture d'un bel album cartonné. En revanche, ouvrir les esprits sur le piratage est aujourd'hui une necessité, et il est bien plus intéressant d'avoir à faire à quelqu'un qui se forge un esprit critique libre en ne dépensant pas le moindre euro s'il n'en a pas les moyens, plutôt que d'échanger avec une armée d'individus lobotomisés à grands renforts d'émissions de Télé-réalité et d'info-spectacle, non ? 

Pour ceux qui voudraient poursuivre la reflexion, voici quelques pistes à explorer : 

• Vince Gilligan (Breaking Bad) déclare que le piratage a aidé au succès de sa série. 

• Le piratage serait bénéfique pour la musique.

• L'Union Européene commande une étude sur le piratage. Conclusion: il n'aurait pas d'effet négatif.

• BDZMag lance PirateTaBD.

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