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par Alfro - le 23/06/2014
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par Alfro - le 23/06/2014

Édito #14 : Les dédicaces, pour nos beaux yeux ?

La semaine dernière, la Paris Comics Expo prenait son courage à deux mains en changeant drastiquement les modalités de dédicaces. Un sujet qui fâche souvent en France, considéré par certains lecteurs comme un dû de l'artiste envers ceux qui admirent son travail. Si en France nous avons longuement privilégié le dessin gratuit, offert suite à un tirage au sort ou par le système plus impitoyable du "premier arrivé, premier servi", il se pourrait bien que les choses soient amenées à changer.

En effet, la PCE a laissé à l'artiste le soin de choisir ses modalités de dédicaces. À lui de voir donc s'il souhaite continuer avec le système du sketch gratuit, disponible pour tout un chacun, ou s'il fait payer son dessin, avec souvent une entente entre le lecteur et lui faite en amont du festival. Cette seconde solution a d'ailleurs cours à peu près partout sauf chez nous. Un système que l'on ne saurait trop réfuté, alors même que nous avons été les premiers à pouvoir profiter de la gratuité des dédicaces pour pouvoir obtenir un dessin d'un artiste que l'on adore. En ce moment même, un Daredevil de Gabriele Dell'Otto me rappelle la chance que j'ai eu. Un Dell'Otto qui a dû lutter jusqu'au bout de la fatigue et de la mauvaise humeur pour pouvoir terminer ce dessin qui était le dernier de sa journée.

Car c'est là que tout se joue. Quand un dessinateur noircit des pages et des pages de sketches, il fait son travail. Et jusque-là, il nous semble que tout travail doit être rémunéré. Aux États-Unis, il n'y a guère de questions sur le sujet, une commission est forcément rétribuée à la hauteur de la tâche demandée. Certes, certains usent et abusent de leur popularité pour exiger des tarifs prohibitifs. Oui, toi là qui fait débourser 20$ pour des yeux, aussi beaux soient-ils, c'est de l'abus. Le lecteur est cependant libre ou pas d'accepter les tarifs pratiqués et l'artiste verra bien qu'il abuse quand sa file sera réduite à peau de chagrin devant ses prix qui frisent le ridicule. Le reste du temps, rappelons que ces artistes viennent aux conventions sur leur temps de travail, que pendant qu'ils vous font des dessins, ils ne font aucune page rétribuée et que s'ils sont là, c'est aussi pour aller à la rencontre du fan.

Alors certes, on pourra rétorquer que les festivals payent le plus souvent les déplacements et le logement de ces artistes. Ainsi défrayés, ils n'auraient donc plus le droit d'exiger plus ? À vrai dire, ils ne sont pas payés pour être là, on leur offre juste le gîte et le couvert. Alors si on demandait à un menuisier de dormir dans la chambre d'amis, il pourrait bien se fendre d'un petit meuble sympa pour nous remercier non ? Compliqué à assumer tout de même. Surtout que le système des commissions payantes à un gros avantage, voir ceux qui sont vraiment intéressés par l'œuvre de l'artiste. Ne pas avoir de dessin parce que dans la file il y avait quelques âmes peu charitables qui attendaient un dessin juste pour pouvoir le revendre sur eBay, cela à quelque chose d'assez frustrant (pour garder un langage correct). True fact du Lille Comics Festival où nous avons été amené à croiser un couple qui avait fait une liste d'artistes en fonction de la revendabilité de leurs dessins, le genre d'épisodes qui permet de relativiser sur l'intérêt que portent certains aux artistes en présence (et sur leur sens moral et esthétique).

Le LCF qui a d'ailleurs réagi sur Twitter suite à la décision de la PCE :

Ce WE, nos amis de la Paris Comics Expo ont lancé un pavé dans la marre en changeant le traditionnel système... http://t.co/Rfr5I6dQnZ

— LCF (@LilleComicsFest) 22 Juin 2014

Une réaction qui montre bien à quel point l'idée est en train de faire son chemin, surtout après l'épisode de la dernière édition où un dessin de Rafael Grampa avait été retrouvé sur eBay dès le lendemain de la convention. Ce qui avait passablement énervé l'artiste brésilien et compromis une future venue de ce dessinateur de génie dans notre bon pays. Des conséquences fâcheuses qui seraient évidemment absentes avec un système de commissions payantes (beaucoup moins intéressant pour les spéculateurs qui seront peu enclin à débourser avant de récupérer leur mise).

Enfin, nous avons aussi vu passer des commentaires comme quoi les dessins gratuits étaient les moyens pour les artistes de rétribuer la passion des lecteurs. Non. Dix fois non. Leur présence est là pour cela, les artistes ne sont pas des vaches à lait destinés à dessiner en batterie (l'impression que nous donne parfois les allées du Festival d'Angoulême). Pour véritablement partager la passion qui unit le lecteur à l'artiste, il n'y a rien de mieux que d'aller vers lui et de lui dire à quel point son travail nous tient à cœur. Déjà cela lui fera sans doute plaisir (quoique quelques misanthropes et éternels insatisfaits se cachent dans le tas) et surtout un échange sur son œuvre est incommensurablement plus intéressant qu'un type qui attend debout sans rien dire un dessin qui n'aura rien de personnel puisque le dessinateur ne saura rien de lui.

Si les conventions de comics commencent à prendre le pas du système anglo-saxon, ce qui va aussi avoir l'avantage d'attirer des artistes qui étaient jusque-là peu enclins à faire le voyage jusqu'en France pour des prunes, il faudra voir si les conventions de bande dessinée franco-belge va être affectée par ce changement. Nous l'avons précédemment dit, se balader dans les allées d'Angoulême laisse souvent l'impression de voir des dessinateurs travailler à la chaîne, avec une nuée de fans prêts à lui sauter dessus s'ils n'ont pas le fameux dessin tant attendu. Nous avons assez souvent assisté à l'épisode où l'artiste arrête ses dédicaces devant un lecteur qui aura fait une queue de trois heures et qui exige, implore voire dans le pire des cas (mais malheureusement véridique) menace pour avoir lui aussi son gribouilli dont on doute qu'il sera de toute façon à la pointe du talent d'un artiste vanné. De plus, les grands noms de la BD évitent souvent ce genre d'exercice désormais. Ce qui peut se comprendre, pourquoi s'imposer un tel exercice quand sa renommée permet de l'éviter ? Mais peut-être qu'avec un système de commission pris à l'avance et sans file d'attente à faire paniquer un agoraphobe, nous reverrions ces artistes reconnus dans les allées angoumoisines et qu'ainsi le dialogue et la rencontre redeviendrait la prérogative du festival.

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