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par Alfro - le 24/02/2014
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par Alfro - le 24/02/2014

Édito #7 : Cesare : ce que doit être une BD historique ?

Certains titres sont très difficiles à passer sous la moulinette de la critique. Des fois, l'affect prend le pas sur ce que l'on pourrait dire objectivement d'une œuvre. C'est exactement ce qui m'est arrivé avec Cesare. Je désirais vraiment en parler, d'abord parce que c'est une série que j'aime beaucoup, mais aussi car elle constitue l'une des rares occasions où j'ai pu lire une bande dessinée historique sans ressentir un certain malaise. Cette gêne qui provient entre le décalage entre deux narrations, celle qui se veut informative, et celle, nécessaire, qui porte la fiction.

Tout le nœud du problème se situe là, dans cette confrontation entre deux histoires, dont une avec un grand H. Souvent, une des solutions est de placer des personnages loin de l'action, qui suivent les événements historiques mais qui n'en sont pas acteurs. Prenez le Débarquement. C'est plus facile de relater ce qui arrive à un soldat (déjà, vous avez des chances que l'histoire dure moins longtemps, une balle ayant tôt fait de lui traverser le crâne) qu'au Général Patton dont les actes et les paroles ont été soigneusement consignés. Réécrire le briefing et les prises de becs de l'État-Major en restant fidèle à l'Histoire n'est pas chose aisée et l'auteur peut rapidement faire une erreur qui sera rédhibitoire. Comme voir au fond d'un plan large d'un péplum une ligne électrique se baladant. Chiant.

Cesare ne choisit pourtant pas la solution de facilité. Sa scénariste, Fuyumi Soryo, a tout simplement décidé de faire intervenir au premier plan Cesare Borgia et Giovanni Medicis. Soit deux des personnages les plus influents de leur époque. Puis bon, au détour d'une colonnade ou au coin d'un prieuré, on croise des figures aussi connues que Machiavel ou Dante Alighieri. Des figures dont les vies ont largement été discutées, analysées et scrutées sous tous leurs aspects. Pas de grandes marges de manœuvre donc. Pourtant, le choix narratif fait ici permet d'aborder cette période sans la trahir mais sans en être l'esclave non plus. Déjà, Angelo, personnage fictif introduit ici et qui sert de fil rouge, permet par sa naïveté et son ignorance des us et coutumes de découvrir cette époque avec un regard vierge, d'apprendre sans être écrasé par un déroulement didactique.

L'autre grande force de cette série publiée chez Ki-oon, c'est d'avoir placé l'action loin de Rome ou de Florence où l'on serait retombé directement dans le travers de relater des faits historiques en perdant la force narrative par la même occasion. Ici, dans cette université de Pise, le lecteur découvre ceux qui deviendront les principaux acteurs de l'époque dans un cadre purement fictionnel. Le parti pris n'est pas anodin, nous ne sommes pas devant un cours magistral dessiné. Le propos de la série est de réfléchir sur des thématiques d'époque. Ce qu'est un souverain éclairé, quelle est la meilleure gouvernance qui soit, quelle est la place de Dieu et de son Église dans ce monde ou encore sur la notion de justice. À vrai dire, la scénariste aidée de Motoaki Hara, spécialiste de la Renaissance qui donne toute sa crédibilité historique à l'œuvre, met en scène les contreverses de l'époque.

Si l'on en restait là, ce serait déjà intéressant, mais sans doute assez lénifiant. Là où l'on va se prendre de passion pour ce récit, c'est dans l'intensité et le volume donné au personnage de Cesare Borgia. Ce personnage dont on doit admettre tout l'aspect fictionnel sous la plume de Soryo prend de l'ampleur au fur et à mesure que l'on tourne les pages. Par sa personnalité complexe, tour à tour sombre, taciturne et cassant, puis chaleureux, éclairé et généreux. Il joue sur cette ambiguïté écrasante pour Angelo, est-il sincère dans sa démarche ou est-il un maître manipulateur ? De plus, le jeu des relations qu'il tisse au fur et à mesure nous délivre une intrigue complexe, toute en non-dits et en insinuations. Politique et passion s'entrechoquent avec toujours en fond une réflexion sur la politique et ses effets.



C'est un véritable jeu de dupes, de manipulations en tout genre que l'on découvre dans ce manga. Ce tour de force incroyable parvient à coller à une réalité historique tout en construisant une intrigue fictionnelle qui répond aux exigences des faits, ces dictateurs de l'Histoire. Absolument passionnant dans ses relations complexes, qui se développent souvent sur plusieurs niveaux, tout en gardant en ligne de mire la finalité inexorable, quand l'histoire devra rencontrer l'Histoire. Toujours juste au niveau du ton, il faudra ouvrir de nombreux tiroirs pour découvrir une vérité qui pour le moment se cache habilement. Si le dernier tome est passionnant sur son analyse de la métaphore avec Dante, il marque tout de même le pas, ne faisant pas avancer l'intrigue en dehors de sa métahistoire, pas simple. Un coup d'arrêt qui n'en est sans doute pas un puisque nous retrouverons Angelo aux prises avec sa conscience, au moment où il lui faudra choisir son camp, ignorant toujours le véritable de Cesare, ses véritables intentions. D'autant plus tragique quand on sait comment va se finir l'Histoire pour lui.

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