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par Manu - le 8/02/2016
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par Manu - le 8/02/2016

FIBD 2016 : L'interview de Paul Azaceta (Outcast)

Alors que Walking Dead domine toujours clairement le marché des comics en France, la branche comics de Delcourt dirigée par Thierry Mornet continue sa politique d’édition tournée vers son auteur en publiant le dernier bébé de Robert Kirkman : Outcast. Série horrifique et intimiste, Outcast suit la vie tourmentée de Kyle, traumatisé par des démons depuis sa plus tendre enfance, et qui se lance dans une croisade contre le mal.

Lire aussi : Outcast - Tome 2, la critique

Pour nous, Outcast fut l’occasion de relire du Kirkman à son meilleur, qui se donne à fond sur ses séries d’horreur actuelles, mais aussi de découvrir Paul Azaceta, jeune talent américain qui n’en est certes plus à ses débuts, mais qui s’offre ici une place de choix sous les projecteurs pour sa première grande et longue série.

Invité par Delcourt au Festival International de la Bande-Dessinée d’Angoulême, nous avons pu nous poser quelques instants avec lui pour parler de son parcours, de sa série et de ses projets futurs.

Bonjour Paul, ravi de vous rencontrer. Pouvez-vous commencer en nous présentant votre carrière avant Image Comics et Outcast ?

Je viens du New Jersey. Je suis fan de comics depuis que je suis tout jeune et j’ai toujours voulu en dessiner. C’est réellement le seul job que j’ai toujours voulu faire. Au début de ma carrière j’ai surtout essayé de travailler pour Marvel et DC, les deux gros éditeurs. J’ai fini par décrocher un boulot chez Marvel et à partir de là, j’ai bougé de petit boulot en petit boulot, rencontrant toujours plus de nouveaux auteurs et éditeurs. J’ai donc pas mal bougé de petits jobs en petits jobs, dessinant toujours de nouveaux personnages. Et ça s’est globalement passé comme ça jusqu’à Outcast. Je cherchais un plus gros projet, quelque chose de plus stable sur lequel je pourrais travailler pendant un moment. Je voulais pouvoir me poser sur un personnage, une histoire. Avant ça c’était très sporadique, j’ai travaillé sur Spider-Man, Conan, du Dark Horse, Punisher, un peu de Daredevil. J’ai aussi fait un creator-owned chez Image Comics avec un ami (ndt : Grounded, avec Mark Sable en 2005).

Et comment vous êtes-vous retrouvé à travailler sur Outcast avec Robert Kirkman ?

On se connait depuis longtemps avec Robert. Je ne sais plus depuis quand exactement, avant même que Walking Dead ne commence il me semble. Nous avons les mêmes amis, vous savez  que l’industrie des comic books n’est pas très grande, et on travaillait tous les deux chez Image. Il a toujours été très gentil, très amical, et on discutait de travailler ensemble un jour. Et quand il était en train de mettre au point Outcast, il cherchait un dessinateur et il m’a envoyé un mail. Moi je cherchais un projet à long terme, ce qu’il proposait. Je lui ai demandé de quoi il s’agissait, et il m’a dit « d’horreur », ce que j’adore, j’adore le genre. Et donc ça semblait parfaitement coller avec ce que je voulais faire de ma carrière à ce moment. Et ça ne faisait pas non plus de mal que ce soit Robert Kirkman, avec la popularité qui l’accompagne, sur une série d’horreur. Tout semblait s’aligner parfaitement à ce moment-là.

Et est-ce que ça a joué sur votre travail à tous les deux de savoir que la série allait être adaptée pour la télévision ?

Ce n’était pas encore vendu à la TV quand on a commencé, c’était une possibilité mais rien n’était fait officiellement. Mais je n’ai rien fait différemment pour autant. Kirkman m’a dit « Tu sais, je discute avec des gens pour en faire une série TV, mais rien n’est sûr. Ce qui est sûr, c’est que je veux vraiment faire cette histoire. Et TV ou non, je pense que ça ferait un très bon comic book. »

Donc je me suis attelé à faire le comic book, aussi bien que je le pouvais. Et l’idée est que la série TV adapterait ce qu’on fait en comic book. J’ai une complète liberté sur ce que je fais, sur ce qu’on raconte, parce que la série vient après notre travail, en adaptant ce qu’on fait. Je n’ai pas de pression à me caler sur la série, ce sont plutôt eux qui s'adaptent à nous ! 

Mais la série arrive plutôt vite. Le comic book est lancé depuis un peu plus d’un an.

Outcast ? Presque deux ans déjà, et la série arrive cet été aux USA.

Vous avez vu le pilote ?

Oui. Je trouve que c’est génial. Et ça avance bien maintenant. Au début de la production, il n’y avait pas grand-chose de sorti (en comics). Depuis, les têtes pensantes ont pu voir ce que Robert avait en tête. Je pense que le plus important, quand on adapte un roman ou un comic book en film ou en série, c’est de retranscrire le sentiment ou le ton du matériau original, de capturer cette essence. On peut changer des choses ici et là, dans les personnages ou l’histoire, car la TV ou le cinéma sont des media différents, et certaines choses marcheront mieux sur papier qu’à l’écran, et vice versa, donc il faut pouvoir changer un peu. Mais l’essentiel est de capturer le ton de l’original, et c’est ce qui m’a marqué quand j’ai vu le pilote. Ils ont pu changer quelques éléments, mais l’esprit est là, et c’est ce qui me rend heureux à ce sujet.

Vous nous avez bien précisé que c’est un projet à long terme, vous avez une durée en tête ?

On n’a pas de nombre précis de numéros, ça va durer quelques années, mais il y a une fin à cette histoire. À la différence d’Invincible ou Walking Dead, qui pourraient durer éternellement, tant que les gens les aiment et les achètent, ou jusqu’à ce que Robert en ai marre, pour Outcast Robert m’a bien précisé qu’il y voyait un début, un milieu et une fin. Il y a un vrai objectif dans cette série, ce que j’aime à propos d’une histoire, je pense qu’il est important d’avoir une bonne fin, qui boucle les choses. Les fins sont très importantes pour moi, donc savoir dès le début qu’on avait une fin, et qu’on allait construire l’histoire vers cette fin, plutôt qu’avancer à l’aveugle, c’est important. On n’a cependant pas de nombre précis de numéros, et c’est inhérent aux comics, on a de nouvelles idées, on en change parfois. Des fois un numéro se transforme en deux pages, des fois on s’attache à un personnage. Ça fait partie de la liberté qu’on a dans le monde des comics. Mais ça durera quelques années, même si je ne pense pas que ce sera aussi long que Walking Dead. Je ne pense pas qu’il y aura 150 numéros.

C’est plus intime que Walking Dead, qui possède un casting très large.

Oui, c’est très différent. Walking Dead est une histoire de survie, avec beaucoup de gore et d’action. Outcast est plus centrée que le questionnement, sur la découverte du pourquoi. Pourquoi Kyle, le personnage principal, est torturé comme il l’est ? Pourquoi les gens sont possédés ? Ce genre de questions appelle à des réponses, et c’est pourquoi la fin est déjà déterminée. L’intimité de la série est importante, parce que Walking Dead n’est pas si effrayante, c’est plus un survival d’action, mais avec Outcast on veut vraiment faire une série effrayante, et pour ça je pense qu’on doit se lier à nos personnages, vraiment se soucier d’eux.

Auparavant vous avez travaillé sur le Punisher, Daredevil, vous semblez attaché au genre sombre, comme Outcast peut l’être. Est-ce quelque chose que vous recherchez ?

C’est quelque chose que j’aime bien sûr, et je pense que mon style s’y prête naturellement, avec beaucoup de noir notamment. Mais en réalité j’aime tous les genres. La romance, les histoires pour enfant, les super-héros, le crime, l’horreur, mais je pense que mon style naturel se prête mieux aux genres sombres. Et même si j’aimerais faire autre chose, je pense que les éditeurs ne pensent pas naturellement « tiens, mettons le sur Superman ! ». Non, ils pensent « Oh il serait très bon sur le Punisher ou Daredevil », donc on m’offre toujours ce genre de boulot, sans que ce soit vraiment mon choix. Mais j’ai aussi fait du Spider-Man, et j’ai adoré. Je me challengé moi-même, tenter de changer de style, mettre moins de noir, et m’adapter aux histoires. Ce sont justes mes aptitudes naturelles qui tirent vers le noir.

Et vous avez d’autres projets en dehors d’Outcast ?

Non pour l’instant je n’ai pas vraiment le temps. Outcast est une série régulière, qui sort tous les mois, et je veux que la série soit optimale, donc je ne veux pas partager mon temps avec d’autres projets, et diviser ma concentration. Mais j’aime écrire et dessiner mes propres histoires, donc pendant que je fais Outcast, j’en profite pour écrire des histoires pour plus tard, pour avoir des histoires prêtes à dessiner quand Outcast s’arrêtera. Mais c’est vraiment à la marge.

Vous pouvez nous dire de quoi ça parle ?

J’ai plusieurs histoires que j’aimerais faire. C’est tellement à la marge que quand j’ai une idée j’écris un peu dessus, sans deadline, sans pression. L’une d’entre elle est un western, j’aime vraiment les films de western, ou les romans, et je voudrais voir ce que je pourrais faire sur mon propre western. Ce n’est pas très orienté action, ça raconte plutôt la vie d’un personnage à cette époque. Une autre histoire est plutôt à l’opposé, c’est de l’action et de l’aventure, avec des aliens, dans l’espace. Un peu comme Flash Gordon. J’adore la SF et j’ai l’impression qu’on ne trouve plus trop ce genre d’histoire dans les comics d’aujourd’hui. Flash Gordon, c’était il y a combien d’années maintenant ? J’ai juste envie d’une série régulière dans l’espace.

Et vous lisez des comic books ?

Oui, je ne peux pas lire autant que j’en avais l’habitude, mais j’en lis toujours beaucoup, pas forcément du mainstream comme des comics de super-héros. J’en lis quelques-uns, quand mes amis en font, et je les lis parce que ce sont mes amis et que je veux voir ce qu’ils font, mais je lis surtout de l’indé. J’adore des gens comme Craig Thompson, qui a fait Blankets, ou Habibi, je ne sais pas comment ça se traduit chez vous. Habibi devrait être nommé pareil (ndt : Habibi et Blankets, manteau de neige, sont édités chez Casterman). J’adore ce genre de choses. Je lis pas mal de bande-dessinée espagnole, française ou italienne. Je trouve que la BD européenne a, comme Outcast, une ambiance plus lente, plus posée.

Vous lisez Brubaker ?

Oh oui. Criminal, Fatale, j’essaye de lire ce genre de série. Quand quelqu’un écrit quelque chose de bien, ou avec un bon artiste, peu importe le genre j’essaye de le lire. J’adore aussi Akira ou ce genre de manga. En ce moment je m’essaye à Satoshi Kon. Vous avez déjà vu Perfect Blue ? Il écrit aussi des mangas, c’est ce que je lis en ce moment. J’adore Paprika et ses autres films donc j’essaie de lire ses mangas. J’aime m’intéresser à un créateur. Par exemple, un autre français, Emmanuel Guibert, que j’adore avec ses histoires d’Alan (ndt : La Guerre d’Alan, publié chez L’Association), c’est un créateur unique.

Je suppose que vous avez vu l’édition française d’Outcast, qu’est-ce que vous en pensez ?

Je la trouve géniale. C’est une remarque que je fais souvent sur le fait qu’aux USA, les HardCover (ndt : éditions aux couvertures rigides, souvent de luxe), sont réservés aux éditions spéciales. Même nous, comme ici nous avons deux tomes de sortis aux USA, mais ce sont des tomes à couvertures souples. Nous aurons des couvertures rigides mais pour une édition qui regroupera les douze premiers numéros. Ici, vous avez directement une belle édition, il n’y a pas une version de base puis une version de luxe. J’ai été très impressionné quand j’ai vu ça, car Delcourt m’a envoyé quelques exemplaires quand ils l’ont imprimé.

Got these bad boys in the mail. French makes the story sound so pretty. Thanks @DelcourtBD pic.twitter.com/ljK35NJjaS

— Paul Azaceta (@paulazaceta) 15 Janvier 2016

Il faut voir aussi qu’ils essayent de garder le rythme par rapport à l’édition américaine. Beaucoup de titres sont publiés six ou huit mois après l’édition originale. Particulièrement avec les travaux de Robert Kirkman, Delcourt essaye de coller au plus près de l’édition américaine. Et ça plait au public puisque ça réduit notre temps d’attente, pour les non-anglophones.

Oui je suis vraiment impressionné par leur travail. C’est ma première fois en France et je suis émerveillé par le travail des éditeurs. Il y a beaucoup de similarités évidemment, mais la façon de faire est différente, il y a un vrai travail sur les éditions, il n’y a pas vraiment de format single comme aux USA. C’est intéressant de voir cette approche différente.

 Et le public est-il aussi différent ?

Je pense que oui, également, et je pense que c’est lié au travail des éditeurs. J’ai l’impression que la plus grosse différence est qu’ici les gens sont plus intéressés per les créateurs, et moins par les créations. Aux USA, vous faites des personnages qui deviennent populaires, qui sont aimés, et les gens sont très gentils, ils vous disent qu’ils vous aiment ou qu’ils aiment votre travail, mais l’amour du public et leurs questions se tournent principalement vers les personnages. Ici les gens aiment les personnages et les histoires, mais ça les rend surtout intéressés par les créateurs. On me pose des questions sur moi, sur mon approche, j’ai le droit à des questions plus personnelles plus que sur mon travail. C’est une différence intéressante.

Dernière question, toute droit venue de notre rédac’ chef préféré, qui s’intéresse à votre intérêt pour la musique et des caméos que vous pouvez faire apparaitre dans votre travail.

J’aime la musique, comme tout le monde, et quand je le peux j’essaye d’insérer des éléments dans mon travail. Il y a quelques années quand je travaillais sur Spider-Man j’écoutais un album des Black Keys, et j’avais du placer un poster dans une scène. Plus récemment dans une scène de flashback, je devais représenter une chambre d’adolescente, et j’y ai placé un poster de David Bowie. C’est une chose de très intéressante dans les comic-books, quand on dessine on doit remplir ce monde, le créer. Et c’est cool de pouvoir y placer ce qu’on aime, un poster ou une lampe qui n’ont aucune importance pour l’histoire, mais qui permettent d’y placer un peu de nos goûts personnels.

Merci beaucoup Paul.

Merci à vous ! 

Outcast - tome 2 est sorti chez Delcourt le 6 janvier dernier.

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