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par Elsa - le 11/02/2014
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par Elsa - le 11/02/2014

Angoulême 2014, l'interview de Jérémie Moreau (Max Winson)

Assurément l'une des plus jolies surprises de ce début d'année, Max Winson a prouvé que son auteur Jérémie Moreau n'était pas qu'un talentueux dessinateur (ce que l'on savait déjà depuis Le singe de Hartlepool), mais également un excellent raconteur d'histoire. Fable moderne où la victoire devient un fardeau, ce premier tome est plein de fraicheur, d'humour et de poésie.

Jérémie Moreau était présent au festival d'Angoulême, et en a profité pour nous en dire un peu plus sur lui, ses méthodes de travail, et ses influences.

Peux-tu nous raconter ton parcours ?

Tout commence à l’âge de 8 ans, quand mon frère fait le concours de la bande dessinée scolaire d’Angoulême. Je me mets à y participer frénétiquement, tous les ans. J’ai envie de gagner ce concours depuis tout petit. Et ça a vraiment dicté ma façon de réfléchir aux histoires, de les raconter. Tous les étés je réfléchissais à l’histoire de l’année suivante.

Ensuite, j'ai cherché une école de bande dessinée en France. Et puis j’entendais de plus en plus les sirènes des Gobelins à ce moment-là. J’aimais bien des dessinateurs qui étaient sortis de l’univers Disney, de l’animation. Avec Guarnido, Barbucci et Canepa…Et du coup je me suis dit, la bd, c’est quelque chose qui peut s’apprendre en autodidacte. Donc tant qu’à faire une école et apprendre un savoir-faire nouveau, les Gobelins apportaient une nouvelle corde à mon arc.

J’ai rencontré plein de gens qui m’ont fait énormément évoluer. Je crois que de 18 à 23 ans, c’est là qu’on se métamorphose. Ensuite, je n’ai pas voulu immédiatement refaire de la bande dessinée, je voulais un peu profiter de tout cet apprentissage de dessin animé. Donc j’ai bossé 2-3 ans dans l’animation.

Assez vite j’ai été recruté chez MacGuff, un des plus gros studios à Paris, tenu par les américains. C’est une succursale d’Universal qui s’appelle Illumination. Ils font Moi, moche et méchant, Le Lorax, Moi, moche et méchant 2, là ils vont faire un film sur les Mignons. Mon travail était dans l’animation et le character design, la création de personnages

J’ai travaillé là-bas, à faire des personnages toute la journée, mais rapidement, j’ai eu une envie de création plus personnelle. De faire mes propres personnages, surtout de leur donner vie, de leur raconter une histoire.

J’ai de plus en plus eu envie de me lancer dans ma première bd. J’ai commencé à écrire des histoires, à voir comment j’allais m’organiser. À ce moment-là j’ai reçu une proposition de Wilfrid Lupano, qui m’a envoyé trois scénarios. Au début je lui ai dit non, je voulais faire de la bd pour raconter mes histoires.

Mais je galérais pas mal à écrire, donc je suis allé voir les siennes. Juste pour me renseigner, pour voir comment on écrit un scénario. Et en me plongeant dans Le singe de Hartlepool, j’ai eu très envie de le faire. J’ai bien vu ce que je pourrais en faire graphiquement. Et ça me faisait une entrée un peu plus douce. 

Parce que vraiment je me disais, je n’arriverais jamais à surmonter cette montagne, assumer un propos, une histoire. Et en même temps est-ce que j’étais capable de tenir un dessin sur 90 planches, de raconter une histoire avec un découpage, une mise en scène sur autant de planches. Le Singe de Hartlepool m’a permis de me rassurer sur ça. 

Le dessin, la mise en scène, ok j’ai l’impression que ça va, maintenant je peux me prendre la tête sur ce que je vais raconter. 

Et c’est comme ça que je suis arrivée à Max Winson.

Et justement, comment raconterais-tu Max Winson en quelques mots ?

Je suis parti d’une pitchline. J’ai lu plein de bouquins de scénarios avant de me lancer, pour me cadrer, savoir vers où partir.

Et tout est parti de cette idée ‘Un type qui n’a jamais perdu, et qui va se retrouver à tenter de perdre. Il a été tellement conditionné à la victoire, est-ce qu’il est capable de perdre un match ?’. C’est ce tout petit bout de truc qui m’a permis de construire toute mon histoire. Très vite le personnage de Max est arrivé. Même visuellement dans ma tête, cette espèce de grand personnage encombré de lui-même, flanqué d’une étoile sur la tête, qu’il n’a pas choisi, mais qui représente sa destinée de vainqueur.

Ensuite c’est de la couture, arriver à développer tout ça. J’ai assez vite eu toute ma trame, même le tome 2. Tout s’est construit assez rapidement.

Et l’histoire en quelques mots, c’est un jeune joueur de tennis qui n’a jamais perdu de match de sa vie, qui a été complètement tyrannisé par son père, qui a voulu en faire le plus grand champion de tous les temps. C’est l’histoire de ce personnage qui a été érigé comme idole absolu, comme égérie de la victoire par tout le monde. Ça va être son parcours. Comment il arrive à s’émanciper de cet univers oppressant de victoire, comment il arrive à retrouver une vie, à se reconstruire et à retrouver un tant soit peu de libre-arbitre, dans ses choix. Est-ce qu’il est capable de perdre un match, s’il le veut, ou pas ?

Comment s’est passée ton travail sur ce titre ?

J’ai écrit toute l’histoire, en quatre pages à peu près. Un synopsis détaillé avec tout ce qui se passe, tous les personnages. Ça c’est ce que j’ai envoyé à l’éditeur. Et à partir de là, j’ai écrit un peu au fur et à mesure, le story board crayonné, et les dialogues, en visant les 150 pages. Et par un miracle incroyable, il s’avère que je suis à peu près arrivé à 150 pages en racontant tout ce que je voulais dans le tome 1. Je savais où je voulais m’arrêter.

As-tu travaillé chaque personnage en amont de l’histoire, ou se sont-ils construits pendant l’écriture ?

Alors ça, c’est mon côté character designer. J’aime bien, avant l’écriture des scènes, etc, avoir tous les personnages devant moi. Savoir à quoi ils ressemblent. C’est un moment que j’adore. Chercher la tête des personnages. Je fais mon casting, je cherche dans plein de films, dans des tableaux… Le directeur de la Max Winson Compagny, Monsieur Tyle, il a une tête qui fait très James Ensor, le peintre belge qui fait des personnages un peu inquiétants, à tête de masque, de cochon…

J’ai un goût très spécial au niveau du graphisme. je cherche souvent dans des vieux tableaux, dans des masques, dans des marionnettes. J’adore le théâtre, le cinéma de Fellini, surtout ses débuts où ses personnages sont très grimés, très maquillés. J’essaie de réinjecter ça, et quand je crée mes personnages, je les crée comme des personnages de théâtre. Je choisis leur costume, leur maquillage…J’essaie quand même qu’il y ait une cohésion graphique entre tous.

Max, c’est le seul qui est un peu différent, un peu rond. Je n’ai pas tout réfléchi à ce point-là quand même, mais au final, on peut penser que c’est sa fragilité, ce bébé qui est dans un monde pointu de victoire. Le seul truc pointu qui est en lui, c’est cette coupe de cheveux en étoile.

La gestuelle de tes personnages est également extrêmement importante. Observe-tu beaucoup les gens autour de toi ?

Ça, ça me vient aussi de l’animation. Toujours chercher des idées de gestuelles, des idées d’acting. Pour moi, c’est comme quand je cherche des visages. ne pas rentrer dans des tics. Et pour ne pas que ça arrive, il faut dessiner le quotidien, les gens dans le métro, dans les films. Rechercher des types de visages, pour sortir de ces tics graphiques. et dans la gestuelle c’est pareil. Sortir de poses évidentes.

il y a beaucoup de bandes dessinées qui moi me crispent un peu, où je vois que le dessinateur fait toujours le même type de mouvement sur le même type de phrase. C’est quelque chose auquel je donne beaucoup d’importance. Trouver la bonne position, l’état dans lequel est le personnage quand il dit cette phrase. Je pense que j’ai encore tendance à en faire trop. Dans Le singe de Hartlepool les gens crient tout le temps, font des grands mouvements de bras. Ça allait avec le côté satyrique de cet album. Mais plus ça va, plus j’essaie de revenir à quelque chose de plus doux, de plus contrôlé. En tout cas Max est lui toujours recroquevillé sur lui-même.

Et arriver à avoir un vrai contraste de gestuelle entre les personnages. L’attachée de presse est super rigide, droite, toujours dans le mouvement, en attaque, le père tout piquant…

Quelles techniques as-tu utilisées sur ce titre ?

Sur Le singe de Hartlepool, c’était complètement à l’ordinateur. Et ensuite, je me suis vraiment remis à dessiner dans des carnets. Vu que je bossais dans l’animation, j’avais pris le pli de dessiner directement sur palette graphique. Et j’étais devenu presque dépendant de ça. Et à être plus dans un monde bd, je me suis remis à dessiner avec du pinceau, de l’aquarelle…

Du coup pour Max Winson, j’avais envie de revenir à quelque chose de traditionnel.

J’utilise Photoshop pour faire les crayonnés, la mise en place. C’est bien pratique pour réfléchir, repositionner, supprimer… Puis revenir au papier pour la texture, le trait final qui va être vu.

J’imprime mon crayonné avec un rose très pâle, et je dessine au pinceau par dessus. Puis je le scanne et je fais les grisés sur Photoshop.

Le choix du noir et blanc, de l’épure, c’est quelque chose que tu voulais faire dès le départ ou qui s’est imposé progressivement ?

J’en avais envie depuis super longtemps. Presque tous mes chocs en bd narratifs, graphiques ont été en noir et blanc. J’adore MuñozLupus m’a beaucoup marqué, Persepolis, Akira, Maus. Les grands livres qui m’ont vraiment laissé pantois, qui m’ont happé dans la narration, ça a presque toujours été du noir et blanc. Je crois que la couleur rajoute quelque chose qui me gêne un petit peu dans la lecture. 

Je dis ça, je ferai sûrement plein de bandes dessinées en couleur après. Mais à ce moment-là, j’avais vraiment envie de faire ça.

Ça parle de tennis, je savais que dans le découpage, il y aurait un parallèle avec le manga, j’ai lu beaucoup de shônen avant. Et avec une grosse pagination, il me fallait aussi un rendement efficace, donc ça allait dans le même sens.

Et puis faire la couleur, je trouve ça très embêtant. J’aime bien trouver les palettes de couleurs, mais ça se fait assez vite et ensuite ça n’est que du remplissage. On perd un temps dingue à faire des choses hyper mécaniques.

Comme c’est ma première histoire, que je suis vraiment dans la mise en scène, le dessin efficace, au moins je ne perds pas de temps avec ça.

Max Winson est une fable moderne. L’histoire parle du tennis, mais c’est plutôt un contexte… Qu’est ce qui t’a fait choisir ce sport ?

Effectivement, c’est venu largement après. Au départ, c’était raconter mon histoire de vainqueur qui ne perd jamais.

Déjà c’est le seul sport que j’ai jamais pratiqué. donc que je connais assez bien. J’ai moi-même essayé de faire des match, mais l’esprit compétitif m’a vraiment déplu, et j’ai arrêté quand j’étais petit pour ça. Maintenant j’ai repris pour le plaisir.

Ensuite il me fallait un sport solitaire, où il y a une grosse pression sur les joueurs.Les parents hyper oppressants sur leurs enfants, c’est un fait très connu dans le monde du tennis.

Il y a eu plein de faits divers… Un père qui droguait les adversaires de son fils pour qu’il gagne. Ce genre d’excès arrive pas mal dans ce sport, ça collait bien.

Et ensuite, le thème central de l’album, qu’on découvrira peut-être un peu mieux dans le second tome, c’est vraiment l’échange. et pour ça le tennis est absolument parfait. Parce qu’on envoie la balle dans le camp de l’autre, et l’autre renvoie. Même s’il faut écraser l’autre, on joue quand même avec lui.

Le gros discours sous-jacent de Max Winson est très appuyé sur ce qu’a beaucoup répété Albert Jacquard. Il faut arrêter de lutter contre les autres, il vaut mieux lutter contre soi, grâce aux autres. Ne pas devenir plus fort que les autres, mais plus fort que soi grâce aux autres. Et tout ça passe par l’échange, et par le jeu avec, plutôt que contre. Ça va être un des thèmes clés du second tome. Comment il arrête d’écraser tout le monde, et parvient à rencontrer le joueur en face. Ça ça marche super bien avec le tennis, la balle passe d’un camp à l’autre.

Tu parlais de tes inspirations pour créer tes personnages. Est-ce qu’il y a des personnages fictionnels ou réels qui t’ont inspiré Max ?

Non pas vraiment. Je pense qu’il y a quand même pas mal de moi dedans. Même dans le côté compétitif, j’ai fait plein de concours, je me suis forgé comme ça. C’est une sensation de retrait que j’ai actuellement par rapport à la compétition, qui ressemble pas mal à Max. Et il y a pas mal de scènes avec l’attachée de presse, son côté malaise par rapport aux interviews, la peur de se faire démonter en interview. Ce sont des choses que je ressens moi aussi, que j’ai ressenti sur mon premier album.

Il y a plein de gens qui me disent que ça leur fait penser au Petit Prince, à Little Nemo, mais pas vraiment. Il est venu comme ça, pour le propos. Tout ce que je voulais, c’était ce personnage paradoxal entre ce qu’il incarne, et ce qu’il est, qui sont à l’opposé complet. Il incarne la performance, celui qui écrase tout. Et lui sa personnalité, c’est quelqu’un d’introverti, qui a peur de gêner. C’est comme ça qu’il s’est construit.

L’univers de la bd est également assez fort, qu’est ce qui te l’a inspiré ?

Il est sorti comme ça, je pense que c’est un truc que j’ai en moi.

Il est pas mal inspiré de la réalité. J’avais envie de parler d’un monde contemporain, mais qu’il y ait quand même un côté conte, fable.

C’était le gros défi, d’arriver à mettre en place des buildings, une société hyper moderne, avec des attachées de presse, un monde médiatique, le sport, le tennis… D’ailleurs c’est un gros souci que j’ai quand je dis que je fais une bd sur le tennis, les gens s’imaginent une bd hyper réaliste.

Mais dès le début, c’était évident que je voulais un monde un peu foufou, un peu absurde.

Après graphiquement, ça ressemble pas mal à New York. Mais je ne voulais pas de lieux qui collent avec la réalité. Se dire que ça se passe à New York, que c’est Wimbledon…

Tout est inventé, pour garder mon indépendance. c’est mon petit monde un peu farfelu. 

Et graphiquement, quelles sont tes influences sur ce titre ?

Winsor Mc Kay, José Muñoz, et Hokusai. Hokusai, le dessin au pinceau… toutes ses planches pour apprendre à dessiner, ses estampes. jouer avec l’outil… La synthèse du dessin de Muñoz, ses aplats noirs. Et puis le dessin de Little Nemo qui me touche plus que tout.

Tu travailles actuellement sur le tome 2, sais-tu déjà quand il sortira ?

Je fais tout pour qu’il sorte fin septembre, donc c’est intensif.

Et es-tu déjà en train de penser à tes prochains projets ?

Dès que je suis sur un projet, je me mets à penser à celui d’après, donc j’en ai déjà toute une tripotée pour après. Mais le prochain sera une adaptation de livre. Rue de Sèvres m’a contacté pour adapter un de leurs livres pour enfant, et il se trouve que ça m’a plu. Ça sera très différent, puisque ce sera une bd jeunesse avec des chevaux, et je pense faire de l’aquarelle direct.

Justement, tu aimes bien expérimenter ? Le changement de traitement graphique entre le Singe de Hartlepool et Max Winson a pu étonner les gens, mais est-ce qu’aller vers des techniques, des traités différents t’intéresse particulièrement ?

Peut-être qu’un jour je me stabiliserai, mais ça m’embêterait de refaire du noir et blanc, dans le même style. J’ai envie de tester plein de choses. il y a tellement d’influences qui me plaisent.

Je ne les ai pas cité tout à l’heure, mais dans les dessinateurs actuels, j’aime beaucoup Manuel Fior et David Prudhomme. En dessin ce sont vraiment deux monstres, au niveau de la personnalité graphique et de la beauté du dessin en lui-même.

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