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par Elsa - le 10/10/2016
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par Elsa - le 10/10/2016

Atelier Sento (Onibi), l'interview

Les éditions Issekinicho comptent à leur catalogue des ouvrages particulièrement désirables, qu'ils soient beaux livres, bandes dessinées, recueil de nouvelles illustrées ou même cahier de coloriages. Tous ou presque ont pour thème le Japon, en le racontant sous des angles aussi originaux que passionnants.

Cet automne, l'éditeur publie deux ouvrages différents mais encore une fois très intéressants : Saru, un livre sur les singes japonais et Onibi, une bande dessinée entre guide et récit fantastique par Atelier Sento.

Cette très jolie bd nous entraine dans un Japon peuplé de yokais silencieux mais omniprésents. Elle est une belle occasion de découvrir ou redécouvrir le travail d'Atelier Sento, dont le travail à quatre mains est plein d'une douce sensibilité où s'entremêle humour et nostalgie. 

Onibi sera disponible le 25 octobre en librairie. Mais en le commandant directement sur le site de l'éditeur, l'ouvrage vous sera envoyé dès le 15 octobre avec un ex-libris et un marque-page en cadeaux. C'est aussi un moyen de soutenir une maison d'éditions indépendante et passionnée.

Nous avons posé quelques questions aux auteurs. Ils nous racontent leur travail sur ce livre et évoquent leur vision du Japon et leurs prochains projets.

Qui se cache derrière l'Atelier Sentô ?

Nous sommes deux dessinateurs : Cécile et Olivier. On s'est rencontrés grâce à notre intérêt commun pour le Japon et, comme Cécile a fait des études universitaires de japonais, on a eu l'opportunité d'y vivre. Depuis notre retour en France, on travaille en duo sur des œuvres inspirées de nos voyages là-bas, des paysages qu'on aime bien, des gens qu'on y a rencontrés.

Pourriez-vous présenter Onibi en quelques lignes ?

C'est une bande-dessinée format roman graphique qui raconte nos aventures à Niigata, dans le nord du Japon. L'histoire commence quand un vieux Japonais un peu bizarre nous propose d'acheter un appareil photo censé photographier les esprits invisibles. L'appareil en main, nous partons à la recherche de ces créatures en un périple qui, au fil de situations parfois amusantes parfois inquiétantes, nous conduira plus loin que nous l'aurions imaginé...

Comment est née l'idée de ce projet ?

Lorsque nous sommes au Japon, Cécile tient un petit carnet dessiné. Elle y consigne nos aventures sous forme de petites scénettes amusantes où nous sommes représentés de manière stylisée. L'an dernier, dans le cadre d'articles pour le site Indiemag où nous expliquions la création de notre jeu vidéo The Coral Cave, nous avons repris ces personnages pour leur faire vivre des péripéties encore plus loufoques, à raison d'une planche par mois. Quand Alexandre des éditions Issekinicho nous a demandé si nous voulions faire un livre avec eux, il nous a semblé naturel de poursuivre dans cette voie et de catapulter ces personnages dans une vraie aventure.

Comment avez-vous travaillé sur cette bande dessinée ?

Avant tout en puisant dans nos souvenirs. L'histoire se base sur un séjour de 3 mois à Niigata à l'automne 2014. Quasiment rien n'a été inventé. L'histoire est fictive dans les grandes lignes et pourtant tous les détails et la plupart des conversations sont vraies. Le plus difficile a donc été de se souvenir avec exactitude de tout ce qui nous a été dit, de recomposer avec exactitude chaque lieu, de bien dessiner les gens que nous y avons rencontrés. C'est quelque chose que les lecteurs ne pourront pas vérifier mais qui était très important pour nous.

Comment fonctionne votre duo ?

On essaie de se partager les tâches autant que possible. Sur Onibi, Olivier a écrit l'histoire en s'inspirant de nos souvenirs communs et des photographies prises au Japon par Cécile. Puis Cécile a réalisé les dessins et Olivier a fait les couleurs. C'est un va-et-vient constant qui aboutit à un mélange de nos styles.

Les techniques traditionnelles font partie de votre identité. Même votre projet de jeu vidéo est en aquarelle ! Qu'est ce qui vous intéresse, vous touche dans ces techniques ?

Quand on voyage au Japon, on a toujours dans notre sac de quoi dessiner : un carnet de croquis, une boîte d'aquarelles, quelques pinceaux... On s'assied devant des paysages qui nous plaisent et on dessine. Une fois rentrés chez nous, on travaille avec exactement les mêmes outils. Cela crée un lien direct avec nos souvenirs, avec le réel : on dessine nos projets BD et autres comme si on était sur place, en pleine campagne japonaise, notre carnet de croquis dans les mains.

Comment s'est passée votre collaboration avec l'éditeur Issekinicho ?

Delphine et Alexandre ont le même âge que nous et une expérience du Japon semblable à la nôtre. Ils y ont vécu et, à leur retour en France, ont eu l'envie de partager leur vision de cette culture à travers leurs photographies, dessins et textes. Nous nous sommes donc bien entendus et ils nous ont plus ou moins laissé carte blanche tout en apportant leur expertise dans la fabrication des livres et leur connaissance des rouages de l'édition. Ils nous ont appris énormément !

Les yôkai sont assez populaires en Occident ces temps-ci. Pourtant, ceux que l'on croise dans Onibi sont assez différents. Plus mystérieux et moins 'folkloriques' peut-être. Comment les avez-vous imaginés ?

L'apparence des yôkai n'est pas figée. Elle évolue en fonction du rôle qui leur est donné dans la société. A l'origine, il s'agissait de créatures assez sinistres qui faisaient écho aux dures conditions de vie dans les campagnes. Mais maintenant, ils ont évolué pour rassurer les gens et les encourager à la consommation. Ils sont devenus des mascottes mignonnes que les enfants ont envie de caresser. Et tout le monde semble vouloir oublier leur part d'ombre.

Nos yôkai sont des silhouettes vaporeuses, presque effacées, car ils témoignent d'un monde en train de disparaître.

Votre travail tourne essentiellement autour du Japon. Qu'est ce qui vous touche particulièrement dans ce pays, sa culture ?

En France, on vit dans un monde très rationnel qui ne laisse pas vraiment de place pour l'imagination. Au Japon, il y a cette sensation étrange d'être constamment à la lisière d'un monde surnaturel invisible et pourtant quotidien. La frontière n'est jamais franchie et pourtant on sent sa présence dans chaque objet, chaque geste. C'est une forme de tristesse, de nostalgie un peu étrange, presque magique, qui imprègne tout.

Onibi est un récit fantastique, mais aussi, entre les lignes, un carnet de voyage. Avez-vous dès le départ eu l'envie d'allier fantastique et 'guide' ou cela a-t'il évolué au fur et à mesure de l'écriture ?

L'idée était là dès le début. On voulait raconter notre voyage mais il fallait un point d'accroche qui puisse tenir le lecteur en haleine. Le fantastique est un bon moyen de révéler le sens caché des choses. Ceci dit, les premières pages étaient plus légères. Au fur et à mesure qu'on tissait des liens entre nos souvenirs, le récit est devenu plus sombre. Ce n'était pas prévu à l'origine mais une histoire très triste a émergé peu à peu en arrière-plan de nos aventures. Un peu comme si, en passant en revue nos souvenirs, on comprenait quelque chose qui sur le moment nous avait échappé.

La photographie est le fil conducteur de votre bande dessinée. Dans l'histoire mais aussi parce que chaque chapitre se conclue par une de vos photographies. Qu'est ce qui vous a donné cette idée, cette envie de mélanger deux techniques artistiques ?

Cécile adore la photographie argentique. C'est une technique belle et mystérieuse. Une photo argentique n'est pas objective. Elle est plus proche de l'émotion, du souvenir diffus. Certaines photos qu'elle a ramenées du Japon sont complètement fantomatiques. C'est pourquoi, il y a quelques années, nous avions eu l'idée de mélanger dessin et photo pour dresser une galerie de portraits de yôkai. Mais le projet est resté en suspens jusqu'à Onibi.

Ces photos évoquent les clichés de fées et de spectres qui faisaient sensation au début de la photographie. On utilise le cyanotype, un très ancien procédé de tirage du XIXème siècle qui révèle l'image à la lumière du soleil : sa teinte bleutée donne un aspect étrangement pictural aux images, brouille la frontière entre rêve et réalité et leur permet de s'insérer harmonieusement entre nos planches de BD.

Quelles ont été vos inspirations, vos influences pour Onibi ?

Comme cette histoire se déroule intégralement dans des endroits où nous avons vécu, que tous les personnages sont des gens que nous avons rencontrés et que la plupart des situations se sont passées telles quelles, cela laisse peu de place à des influences extérieures. Néanmoins, nous avons consulté le Dictionnaire des Yôkai de Shigeru Mizuki : sa bizarrerie et son humour nous ont aidé à créer nos propres créatures. Nous aimons également beaucoup les manga de Daisuke Igarashi dont le trait façon croquis et les thèmes écologiques et mystiques nous touchent beaucoup. Pour finir, il y a le réalisateur Shinji Sômai dont les films (hélas non distribués en France) parlent de la vie quotidienne sans jamais oublier qu'il existe autour de nous un monde invisible qu'on ne fait qu'effleurer.

Vous avez un autre projet, Coral Cave. Une œuvre transmédia puisqu'elle allie une bande dessinée et un projet de jeu vidéo. Pourriez-vous nous en parler ?

Avec internet et l'évolution des logiciels de création, il est désormais possible de développer facilement son propre jeu vidéo et on assiste à une explosion de créativité : il y a des jeux conçus avec des techniques aussi variées que le collage photo, la sculpture en argile, le papier découpé... Forcément, ça nous a donné envie d'en faire un nous aussi.

The Coral Cave est un jeu vidéo entièrement à l'aquarelle qui se passe sur l'archipel d'Okinawa et s'inspire de notre séjour là-bas. Le joueur incarne une petite fille nommée Mizuka qui enquête sur le folklore de son île pour la protéger d'une terrible menace. Pour la création du jeu, on fait tout nous-mêmes : graphismes, animations, programmation, énigmes, musiques. Comme cela prend du temps, on développe des petits projets avec les mêmes personnages comme cette courte bande dessinée auto-éditée, le rêve d'un irabucha, qui vient enrichir l'univers. Cela donne un avant-goût du jeu et permet aux futurs joueurs de s'attacher à notre héroïne. Ils nous envoient des dessins qu'ils ont fait d'elle, souvent à l'aquarelle. Ça nous fait tellement plaisir !

Quels sont vos prochains projets ?

Finir The Coral Cave est maintenant notre priorité n°1. On aime la simplicité de diffusion des jeux vidéo, quasiment du producteur au consommateur. Les joueurs soutiennent les créateurs même longtemps avant la sortie des jeux. C'est très motivant ! Ce que nous ferons ensuite dépendra de comment le jeu sera reçu. Dans tous les cas, nous ne manquons pas d'idées. Le plus important pour nous étant de ne jamais sacrifier notre indépendance.

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