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par Sullivan - le 5/11/2015
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par Sullivan - le 5/11/2015

Davy Mourier : l'entretien qui parle de la vie, de l'amour, de l'humour et de Super-Caca.

Alors que sortait le mois dernier La Petite Mort 3, troisième tome de sa série publiée par Delcourt et cette fois-ci réalisée uniquement pour le cadre de la BD (comprenez que ce n'est pas un recueil de strips auparavant publiés sur Badstrip.net), Davy Mourier nous a accueilli chez lui, entre le canapé de Nerdz et son adorable chat Ten ("comme le dixième Docteur"). L'occasion pour nous de revenir sur ses différentes carrières, entre l'écriture, l'animation, l'acting et la Bande-Dessinée, et il se trouve que comme à son habitude, Davy a un planning très chargé. 

Lire aussi : La Petite Mort - Tome 3, la critique 

Une belle rencontre sans filtre que nous sommes aujourd'hui fiers de vous proposer, et que je vous invite évidemment à partager ! 

Davy Mourier, l'interview

• Hello Davy ! On va commmencer par parler de La petite mort et de plein d'autres choses, puisque dieu sait que tu fais plein d'autres trucs à côté de la BD et que ce sera sûrement le sujet de mes dernières questions. Déjà, est-ce que tu peux me présenter La Petite mort 3 avec tes mots à toi, qu'est ce que ça représente dans la saga de la petite mort, on peut parler d'une saga maintenant parce que c'est quand même le troisième tome, qu'est ce que c'est, pourquoi être arrivé à un format album, etc. ?

Alors le tome trois pour moi c'est une fin… Mais c'est pas la fin de la saga, c'est la fin de l'histoire de La petite mort. À la base, La petite mort devait se terminer dans le tome 1, tout simplement, et puis, le premier jour de dédicace, j'ai parlé avec des gens, j'ai raconté l'histoire, et en racontant l'histoire aux gens, je me suis dit qu'en fait je pouvais en faire trois tomes, et mon éditrice qui était là, qui prenait des photos, je lui ai dit " Marion viens voir, viens voir ! Je crois qu'on peut faire trois tomes, et ça a pris 2 ans de plus, le tome 1 c’était l’enfance, le deuxième tome sera l'adolescence, et le troisième tome, ça sera l'âge adulte, la merde quoi. Donc là le tome 3 s'appelle "Le domaine des vieux", parce que c'est là ou j’en suis actuellement dans la vie. Quand j'ai fait cette BD, j'étais en plein milieu de tous ces trucs d'adultes horribles, c'est à dire que le pôle emploi refusait que je redevienne intermittent du spectacle, donc j'ai galéré à avoir des rendez-vous qui servaient à rien, la meuf dont j'étais le plus amoureux du monde m'a quitté au moment ou je devais commencer le troisième album. J'étais dans une souffrance rarement atteinte dans ma vie, à tel point que ma psy m'appelait le soir pour savoir si j'étais encore vivant, et la petite mort, en fait, était le projet que j'avais signé et que je devais faire, et là je me suis dit : soit je me tue, pour de vrai, soit je fais cette BD, et j'me suis dit, nan la BD elle est pas finie, la petite mort c'est pas fini, sûrement j'avais pas vraiment envie de mourir tu vois, je me suis dit : il faut que je fasse cet album, et ça a été mon lien avec la vie. Tous les autres albums de la petite mort, j'ai mis 8 mois à les faire, lui j'ai mis 4 mois, mais parce que je n'ai fait QUE ça. De toute façon je ne voulais voir personne, donc je me levais le matin, je faisais la petite mort, je faisais la petite mort, je faisais la petite mort, jusqu'à trois heures du matin. Là je m'endormais, je me réveillais, je faisais la petite mort, je faisais la petite mort... pendant 4 mois. J'ai tout mis dedans. En fait j'ai assumé le fait que le personnage de la petite mort, c'était moi. Je m’en suis rendu compte à une interview du tome 2, ou le journaliste, d'une radio catholique d'ailleurs, m'a dit " mais c'est vous" et j'ai fait "Bah non...Ah oui, putain, merde...". Donc le tome 3, je me suis dit a que j’assumais et donc qu'est ce que j'ai envie de dire ? Et c'est pour ça que le scénario a été écrit hyper vite, et dessiné hyper vite, parce qu'en fait, j'avais le sujet, et le sujet c'est l'âge adulte, et c'est les merdes qui peuvent t'arriver à l'âge adulte.

• Pour moi, en termes de feeling, cet album c'est la suite de 50 francs et de 41 euros, quand je le lis, quand t'essaies de passer un peu au travers des personnages, et justement, du fait que c'est toi et que moi aussi je suis d'accord avec ce journaliste catho', tu l'as ressenti comme ça en le bossant ? Parce que, au départ tu avais prévu trois tomes sauf que tu n'avais pas prévu ce qui allait se passer dans ta vie perso à ce moment là, et donc que la petite mort 3 allait devenir un putain d'exutoire pour toi, que tu allais y mettre effectivement énormément de poésie et de... pour moi c'est hyper romantique, plus que tout ce que tu as pu faire dans ta carrière il y a énormément de finesse derrière le mot, derrière la verve...

Parce que j'avais jamais été réellement amoureux avant, et que j'ai découvert ce que c'était réellement l'amour et ce que ça donnait quand on te quittait.

• Et c'est ça le message de la fin de l'album.

C'est ça.

• Donc la mort s'arrête quand on est amoureux?

En fait la peur, l'angoisse, les névroses se calment quand tu es réellement amoureux. Si ça ne se calme pas, c'est que tu n'es pas réellement amoureux. Et pour la première fois de ma vie, je n’avais plus réellement besoin de créer. Je créais juste quand j’en avais envie. Je me disais juste "Ah je vais faire ce truc" mais à partir du moment ou elle m'a quitté, l'art est redevenu le truc le plus important, parce que c'est ce qui me maintient vivant. C’est comme ça qu’a été créée la petite mort 3. Le storyboard ne dépasse jamais quatre pages, cinq pages. Je sais un peu ou je vais, mais je me laisse libre, et là j'ai bloqué. Il y a eu le chapitre 7 (NDLR : qui est en fait le premier chapitre de ce 3ème tome), et j'ai bloqué un mois (sur les quatre) et j'ai pas pu réussir à produire les autres chapitres.

• C'est pour ça qu'il y a une vraie rupture dans le bouquin à la lecture, et au moment ou tu arrives au chapitre 8, effectivement il y a une page qui se tourne, c'est bizarre parce que c'est pas non plus les moments les plus conséquents par rapport à ta vie perso et ce que tu vas y mettre dans le bouquin. 

En fait il y a un truc : à la fin du chapitre, je ne le savais pas, j'étais toujours amoureux de cette fille, mais je ne la voyais plus, et j'étais en colère, donc blocage, total. Et on a été obligés de se revoir pour le travail, une journée entière, et on a parlé, on a parlé, on a parlé, et quand je suis rentré chez moi, ça a complètement tout débloqué, et là j'ai pondu les deux chapitres en deux mois, et c'était fini, je savais ce que j'avais à dire, ce que je ressentais, et savais que je voulais pour la petite mort - alors après je spoil peut être mais - dans cet univers là, les choses pouvaient se passer comme j'aurais rêvé qu'elles se passent dans la vie, comme elles auraient du, se passer, dans ma vision des choses. Bien sûr après on force pas les gens [rires], mais voilà c'est ça MA solution, et c'est pour ça que la BD se termine comme ça.

• Et quelle est la suite du coup pour toi ? Philosophiquement la suite c'est la petite mort 4, on ne va pas se mentir, mais comment tu vois le futur ? Déjà est ce que ça va mieux ?

Alors non. Euuuuh pfff. Non pour moi c'est pas... fini.

• Mais tu as trouvé la réponse poétique, celle qui jusqu'à la fin t'a relancé un peu.

J'ai trouvé la réponse poétique à cette histoire, dans la vraie vie je bouffe du cachet et je travaille plus que de raison, parce que j'ai pas de raison de ne pas travailler. Non c'est chaud. C'est dur. 

• Mais tu as ça pour t'aider [en montrant la petite mort] !

Ce truc là m'a fait prendre des décisions. C'est à dire que depuis cette rupture, je ne fais plus de vidéoblog, parce que voir ma gueule, je peux plus. Ou alors il faut que j'écrive une lettre ou qu'il y ait un message derrière, parce que si ... En fait je suis pas heureux au quotidien. Donc je peux pas faire des vidéos ou je fais " Hey vous avez vu Koh Lanta le mec il a mangé une noix de coco pourrie !", en fait non, parce que je ne peux pas mentir aux gens. Faire des sketchs, chez golden moustache, il faut avoir envie d'écrire des sketchs. Puis en plus comme elle est très liée a ma carrière cette fille, ben, en fait, j'ai décidé d'arrêter des tonnes de choses, et de me concentrer sur des projets plus longs, un travail de fond.

• Déjà, tu te sens bien dans le monde de la BD maintenant, il y a une époque ou tu arrivais en tant que journaliste, en tant qu'auteur qui a fait du web, avec ton discours " j'ai pas le dessin, j'ai pas le machin etc".

Oui je me sens mieux, En fait je ne me sentais pas... j'ai oublié le mot... pas légitime à rentrer dans le monde de la BD. Mais, effectivement, avec les ventes de la petite mort, j'ai commencé, enfin, à me sentir un peu légitime. J’ai trouvé le monde de la télé et de l’internet tellement dégueulasse que je me suis senti bien dans ce monde BD ou les gens sont sain. Certains auteurs BD se plaignent, mais moi en venant du monde de la télé je leur dit c'est tellement bien, c'est tellement sain ici.

• Plus intègre.

Plus intègre oui. Bon, sauf que là, je ne citerai pas de nom, mais j'ai découvert en une semaine deux personnes différentes qui ont dit que j'avais volé des concepts dans le monde de la BD.Ça fais bizarre, tu te demandes d'ou ça sort. Quand je faisais des trucs sur mon blog ils s'en foutaient les mecs. Depuis que la Petite Mort est plus visible, il y a des gens qui se disent c'est bizarre j'ai eu la même idée, c’est du plagiat. Ça m'énerve un peu parce que je me rend compte que dans le monde de la BD il y a aussi des gens qui pinaillent. Mais je le dis là, je me sers de l'interview comme tribune : je n'ai pas inventé la faucheuse ! [rires des deux côtés] C'est pas mon idée. Un squelette avec une grande faux qui tue des gens, ce n'est pas mon idée à la base. J'ai pas déposé la mort, ça ne m'appartient toujours pas. S'il y à d'autres gens qui veulent raconter des histoires avec des faucheuses, ben allez y hein.

• Et pour refaire un lien, évident encore, entre le monde du sketch, le monde de l'écriture humoristique et celui de la BD, t'as pris un réel niveau. Tu as toujours été touchant dans tes BD, ça a toujours été très personnel, et marrant, toujours eu des vannes et des trucs drôles, de tout type d'humour d'ailleurs et c'est ce que j'apprécie chez toi : tu as ce bon goût. Par contre dans celui là je t'ai trouvé beaucoup plus maîtrisé, c'est hyper efficace, poétique, à double lecture à chaque fois, tu le met dans les mains de gens de 7, 17 et 27 ans tu auras trois lectures différentes. L'espèce de verve que tu as avec tous ces jeux de mots, on en parlait tout à l'heure en off, tu sais un peu à la Asterix ("Le domaine des vieux"), "La carte léthale" ce genre de choses, il y en a plein dans le bouquin et à chaque fois, tu as un peu...

J'adore moi "l’impôt sur le revenant".

• Oui ça c'était bien vu aussi, et ça fait très Boris Vian encore une fois ces espèces d'illuminations d'idées que tu vas mettre là qui paraissent presque inoffensives comme ça mais qui, du coup, témoignent un peu de toute la richesse que tu as derrière, ta façon de distiller l'humour par petites couches, surtout dans un titre aussi cynique, et au départ aussi sombre que le traitement de la mort, de sa famille, comment elle fauche les gens et surtout les mauvais, et l'album s'ouvre sur une scène d'intro que je trouve hyper cinématographique, parce que tu emmènes le lecteur dans un contexte, pour finalement lui lâcher un bon gros : "j't'emmerde". Bref, tu penses que ça t'a servi cette carrière là pour un peu affiner tout ça ?

Ben si tu veux, j'ai pas plus travaillé mon scénario que sur les autres BD, je pense que c'est l'habitude de l’univers de la Petite Mort qui fait que. La petite mort aurait pu s'arrêter au tome 3. Mais le problème c'est qu'aujourd'hui, j'ai tellement pris de plaisir à créer cet univers et il est tellement immense maintenant avec le tome 3, on voit comment tout fonctionne dans le monde de la mort et en fait je me dis " Ah c'est con de pas continuer à faire bouger des personnages là dedans", parce qu'en fait j'ai le théâtre j'ai le décor, j'ai tout, j'ai plus qu'à raconter des histoires, donc c'est pour ça que j'ai réfléchis, et qu'il y aura un tome 4. Mais le tome 3 je l'ai pas plus travaillé, c'est juste que vraiment il est sorti de moi, ça a été une de mes BD écrites le plus rapidement. Je vais pas mentir, je vais pas dire aux gens c'est une maturation de 2 ans, mais en tout cas il y a tout ce que je voulais dire. Mais peut être aussi que j'étais tellement écorché, au moment ou j'ai fait cette BD, que les choses sont sorties naturellement et le plus simplement du monde. Parce que des fois quand tu réfléchis tu te dis " Comment je vais faire la chose ", moi j'ai pas réfléchi.



• Et pourtant, c'est marrant parce qu'il y a un truc où tu m'as vraiment surpris, parce que c'est un truc qui me passionne, c'est toute cette approche anti-libérale dans le bouquin où tu vas traiter le monde des adultes à travers le système, la pyramidalité et l'administration découpée en étages à un tel point qu'à un moment tu fais un schéma qui est hilarant, super réel, et même si c'est grossier, si les gens peuvent avoir...

C'est la page qui m'a pris 2 jours ! 

• C'est vrai ? Et tu vois si tes lecteurs les plus jeunes peuvent comprendre cette idée-là, c'est déjà un grand pas en avant !

Ah moi c'est dans Stupeflip, ma chanson préférée c'est " À bas la Hiérarchie ", on en a marre de rester enfermés dans les boîtes.

• Ben justement est-ce que c'est pas uniquement punk, c'est pas uniquement un cri du cœur comme tu pouvais le faire avant sans forcément dire "j't'emmerde, le système", mais t'emmerdais le système dans le fond, alors que là tu y vas par ses arcanes, dans un truc qui est quand même poétique, ou justement toute cette espèce de crasse du quotidien de tout ce qui nous écrase les uns les autres et qui font qu'aujourd'hui les gens ne se parlent plus et bouffent des cachetons, etc. Tu vas vraiment le matérialiser ce mécanisme, et ça donne quand même un message assez fort, surtout par rapport à la fin de l'album et à l'avis de la petite mort, et là ou la mort s'arrête pour devenir autre chose, c'est fort quand même, pour un truc qui est sorti en quatre mois, on dirait que t'avais envie de...

Oui mais j'ai été fonctionnaire pendant 5 ans de ma vie, et j'ai été dans des bureaux, et j'ai vu des gens qui étaient au placards. Des gens qui étaient payés trois fois mon salaire, et qui attendaient que la droite passe au pouvoir pour retrouver une place parce que la gauche les payait pas assez, et quand la droite est arrivée, le gars a retrouvé une place, et les gens avec qui je travaillais se sont retrouvés au placard, mais ils peuvent pas être virés parce qu'ils sont fonctionnaires, et en fait, ces mécanismes là, débiles et malsains, ce monde de la télé où on nous paye au nombre de gens qui nous suivent sur Facebook, on monnaye tout et n'importe quoi aujourd'hui, et tout ça me dégoûte au plus au point, et, le truc quand je réfléchis beaucoup là dessus, j'en arrive toujours à me dire "mais c'est complètement absurde, le fonctionnement de ce truc là est absurde", c'est la maison qui rend fou des douze travaux d'Asterix, et j'ai voulu montrer ça, et à la fin on peut pas spoiler mais la petite mort parle à Dieu et elle lui dit mais pourquoi on fait ça ? Et on lui répond "Ben y'a pas de raison".

Et c'est ça qui est hyper touchant, parce que dans l'album tu as toujours ce côté de toi qui vieillit comme nous tous, qui se pose encore les questions mais qui arrive à mettre les mots sur tout ça et je pense que les gens qui en sont conscients sont les gens qui en souffrent le plus, et c'était écrit dans la bible mais Sinsemilia l'a très bien dit " heureux le simple d'esprit, 2000 ans que c'est écrit c'est aujourd'hui que j'ai compris " et t'arrives encore à avoir par ton personnage qui est donc quand même allégoriquement toi, ce discours du "mais pourquoi" en revenant au mécanisme et tout, en détaillant l'absurdité morbide du truc, et en disant "les mecs, réalisez que ce qui compte c'est les autres, l'amour, l'empathie, la création artistique justement, oubliez les like facebook, oubliez l'éditeur, regardez ce qui sort, et oubliez l'attaché, tout ces systèmes là", et juste "est ce qu'on peut pas revenir un peu à ça ?", et moi ça m'a touché à fond parce que j'y crois aussi, qu'on essaie d'appliquer dans le boulot et tout, et je t'ai trouvé plus sincère que jamais, et plein de gens qui me diraient " ouais moi tu sais les auteurs qui viennent du blog, bof" qui sont eux très BD classiques, c'est le genre de BD j'ai envie de leur mettre sous les yeux et de le dire, ben voilà, explique moi maintenant si ce mec là il a pas compris les choses que toi aussi tu essaies de dire mais de manière ultra-sophistiquée ou je ne sais quoi, parce que là c'est hyper poétique c'est très beau, c'est touchant, alors oui c'est un petit album d'un mec qui vient du web tout ça, mais regarde ce qui s'en dégage !

Juste un truc, ce que tu dis ça me... Moi je suis profondément persuadé que ce monde est absurde, mais je ne peux pas l’accepter. Je suis fan de Cyrano pour ça, Cyrano il dit qu'il faut se battre tout le temps contre le mensonge, la mort, et il dit à la fin : "ce qu'il me reste, c'est mon panache" et voilà ce que je pense, on a beau faire ça pour rien, si nous on essaie d'en faire un joyau de cette merde, quand on crèvera il sera encore là, et advienne que pourra, et c'est pour ça que je refuse de bosser dans le milieu de la pub, aujourd’hui je choisi beaucoup plus qu’avant mes apparitions. Dans le milieu de la télé, normalement on doit attendre que quelqu'un nous appelle et dire " Oh oui bien sûr je vais le faire " et aujourd'hui je dis : non. Je voudrais, si je meurs demain, ne pas me dire " Oh j'aurais pas du faire ça, j'aurais pas du faire ça, etc " ; je regrette certaines choses par le passé, passer sur France 2 dans ce reportage horrible sur les adulescents, ou j'aurais dû dire "non" parce que ça sentait la merde dès que le mec est venu me voir, et je l'ai fait, ben aujourd'hui j'ai vieilli je me suis pris un mur à cause de cette meuf, et là aujourd'hui je me dis : ce que je fais… il faut que ce soit joli.

• Justement, je voulais revenir sur un autre truc avec toi parce que je pense que les gens qui nous lisent seront tout aussi intéressées par cet aspect là de ta carrière, là tu fais une soirée sur l'humour geek à Paris, et t'as quand même choisi des gens qui parfois viennent du monde de la BD, souvent sont des amateurs de BD de toute façon eux même et connaissent très bien le circuit et que l'art se développe encore dans un milieu aussi libre. Toi qui a bossé dans le monde qui s'est ouvert aux marques sur le Web et au sein des shows TV (où la pub n'était plus suffisante), tu l'as quitté avant que ça devienne aussi absurde. Pourquoi ces gens là ? Est-ce que tu peux m'en parler un peu de ces gens qui te touchent, et de la place de l'humour dans tout ce combat contre l'absurde au quotidien ?

Ah, pfou là c'est compliqué. La soirée au Rex c'est marrant parce qu'on est venu me chercher et on m'a dit "qu'est-ce que tu ferais si tu avais une soirée ?", j'ai fait " Aaaaahaaaa plein de choses" et on m'a laissé le faire, ça c'est ouf, donc j'ai pu aller à l'INA, (ce que je rêvais de faire), et en fait c'est un truc de ouf : j'ai les clés de l'INA (alors je ne sais pas si les gens se rappellent encore mais il y avait une émission qui s’appelait Giga qui passait quand j'étais ado, où il y avait Les années collèges, Sauvés par le gong, ou Alf ) . Sur l'Ina tu peux re-regarder tous les programmes, et un soir, quelques semaines auparavant en préparant l'émission, je me suis mangé des pâtes devant mon ordinateur et j'ai regardé Giga, comme à l'époque, et c'était ouf, et j'espère que dans cette soirée je vais réussir à faire ressentir ça aux gens. Pour moi l'idée de cette soirée, c'est de faire des madeleines de Proust aux gens, qu'ils en aient au moins deux, avant de repartir. J’ai jamais arrêté de regarder la télé et j'ai été aussi fan de Goldorak que du club Dorothée, des Minikeums, et Pokemon ! Quand j'étais fonctionnaire je me levais plus tôt pour voir Pokemon avant d'aller à la mairie. J'suis un gosse. Et je peux parler à toutes ces générations. C'est pour ça en fait que quand les mecs ils cherchaient quelqu'un, au final on se retourne vers moi, parce qu'au bout d'un moment je suis un des rares mec qui a bouffé autant de télé, de dessins animés. Aujourd’hui encore je regarde France 4 tous les matins pour voir les dessins animés de super héros. Je suis encore bien au taquet niveau culture animée. C'est cool j'ai fait venir plein de gens, j’ai les Fatals Picards, il y a deux, oldelaf, PV nova, François Descraques, le joueur du grenier, Dédo et yacine, Giedré, Kyan et Navo, plein de copains. Navo je suis amoureux de lui parce que c'est un mec qui est droit avec une foultitude de talent. Navo je t’aime.

• Dommage qu'il fasse moins de BD du coup, non ?

Bah c'est parce qu'il sait pas dessiner, sinon il ferait peut être plus de BD [rires], je sais pas.

• Et toi et lui ensemble ?

Ouais mais on dessine pas assez bien.

• Bah tu t'en fous ! Franchement si, de un, et la petite mort, en aparté, c'est quand même vachement mieux dessiné que ce que tu avais produit avant !

Je sais pas, peut-être, si il lit, on verra. Ouais et puis il y a Oldelaf, le Joueur du Grenier et d'autres encore ! 

• Il y a Dedo? 

Dedo et Yacine, François Descraques.

• Ça c'est ton crew, de gens droits que t'as réussi à réunir.

Que je trouve sains ouais.

• C'est une belle liste.

Ah oui c'est une belle liste. Quand même, il y a pas que des enculés [rires].

Et pour revenir à la BD après ce petit aparté, tu publies un truc sur Badstrips qui s'appelle Loup-phoque, qui est une série de strips comme on t'a connu ailleurs, il y a longtemps.

Ouais c'est vraiment revenir aux origines là.

• Ça se sent que tu te fais plaisir, façon "j'ai une idée, je la matérialise dans un petit strip, on se marre un coup et puis voilà". Et ça va être édité aussi.

Ouais, au printemps prochain chez Delcourt, Loup-phoque, là il faut que je finisse, je suis sur une autre BD entre temps chez Delcourt, qui sort pour Angoulème, je l'ai fait avec Elo Sterv, qui est une rennaise, et ça va s’appeler Relation cheap, et ça sort en BD, 96 pages, là je finis la couv' dès que tu t'en vas.

• Tu m'en parles de cette BD, c'est quoi ?

Alors qu'est ce que c'est ? En gros Relation Cheap, c'est une relation un peu pourrie, qui parle du fait qu'on se soit dragués via internet.

C'est une idée de Marion, notre éditrice, et en gros c'est deux personnes qui sont pas dans la même ville, qui se draguent via Facebook, qui se draguent via tous les moyens via tous les moyens qu'on a aujourd'hui pour se draguer de loin, et ça amène à de la merde quoi. Notre relation elle est un peu nulle, mais comme on est auteurs de BD, on a de quoi parler. En gros cette BD ça va être une sorte de... on va revenir sur la drague de merde. C'est un peu vulgaire, et en même temps on est auteurs de BD donc on s'envoie des planches de BD. Il y a des choses que j'avais mis sur mon blog, d'autres pas, des choses qu'elle avait mis sur ses blogs, des choses qu'elle a fait que pour la BD, en gros ça parle d'amour, mais à tous les niveau, et ça va être comme je fais d'habitude, et comme Elo Sterv fait d'habitude, on se ressemble en fait. Ça va être sucré/salé. Des fois trop crade, et des fois hyper dépressif, mignon, etc. Ça va être une BD rigolote, qui sort pour Angoulême, donc Relation Cheap, et après au printemps je sors Loup-Phoque. Alors la petite mort je disais que c'était mon lien à la vie, mais c'est fini, et j'ai encore besoin de vivre, et je me suis donc imposé de faire un dessin tous les jours, un dessin drôle si possible, tous les dessins ne sont pas drôles, mais j'avais toujours ces problèmes de relation, donc je me suis forcé à exister, et je me suis dit "tous les jours il y aura un dessin sur Facebook, et ça montrera aux gens qui me suivent que je suis encore vivant". Donc c'est peut-être un truc drôle, mais à la base ça a encore été un lien, en disant " Je suis pas mort, regardez je fais des trucs ".

• Et c'est marrant parce que je m'attendais en venant, parce que tu fais des trucs comme Reboot, ta série, même si je sais que tu as quitté ce milieu un peu entertainement, je m'attendais à ce que t'adapte Reboot justement en BD...

Ah, c'est pas dit qu'on ne le fasse pas.

• Mais c'est pas quelque chose qui t'attire particulièrement tout de suite. C'est ça qui est dingue en fait parce que tu as vraiment le Davy de la BD, le Davy des écrans, le Davy perso, et le Davy perso il va dans les deux milieux, et il a besoin d'eux j'ai l'impression. Et surtout pas de les mélanger ou quoi que ce soit puisque les gens qui gravitent autour sont les mêmes, mais je ne te vois pas sur les mêmes démarches en BD et en Télé.

En fait c'est bizarre mais Reboot, vu que c'est co-écrit avec Lewis Trondheim, tout de suite on y a pensé, à faire une BD. D'ailleurs dans les contrats avec France télévision, et avec notre producteur Empreinte digitales, on a retiré la BD. C'est à dire que la BD de Reboot nous appartient à Lewis et moi, c'est à dire qu'on fait ce qu'on veut, qu'on peut aller voir n'importe quel éditeur et eux ils ont rien à dire, et on peut raconter ce qu'on veut dedans. Et on trouvait ça important, et au début on était vraiment parti pour adapter en BD ce que l'on a tourné, parce que j'ai pas eu vraiment les moyens de tourner ce qu'on avait écrit au départ, donc il y a beaucoup moins d'action dans la Web-série, mais, moi en tournant, en réfléchissant, je me suis dit "Les gens ils vont l'avoir l'histoire, et si on fait une BD qui est adaptée de la série, qu'est ce qu'on offre aux gens?" : rien, à part une BD de plus.
Mais en travaillant la série, il y a un personnage qui est devenu important, un personnage secondaire mais très intéressant, qui s'appelle Racine. J'ai envoyé un SMS à Lewis, en lui disant que si on faisait une BD, je ferai bien une préquelle sur ce personnage là. Sur pourquoi, comment, parce qu'il est très intéressant, il a un passif énorme, mais on en parle pas, et en BD ça peut être super cool. Peut être qu'on fera ça, mais, j'ai déjà plein de projets, Lewis aussi, on a peut être un autre projet ensemble qui est pas encore défini, mais qui serait autre chose. La BD ça vieillit d'un côté, et la série de l'autre. Si on le fait, c'est cool, mais c'est pas ma priorité, parce qu'il faut faire les choses dont on a envie. Et si la série sort, et que les gens l'apprécient, je pense que ça me donnera envie de raconter d'autres histoires autour de cette série. Mais pour l'instant je suis en désenchantement avec cette série, on est au montage, t'imagines on a tourné en juillet, ça doit sortir le 10 novembre, j'ai vécu que pour cette série depuis ces derniers mois, et j'en ai plein le cul, de voir ma gueule, de cette histoire.


• Tu en es fier quand même ? 

Je sais pas. On verra. Pour l'instant je suis trop en désamour parce que je vois trop les trucs que j'ai pas eu, que j'ai pas filmé, que j'ai du couper au montage, etc. Mais après des gens me disent ce qu'ils voient, le scénario est là, il y a du fond. C'est une Web-série qui se veut porteuse de message. C'est de la S-F, il y a du caca, c'est rigolo, mais il y a un fond, qui parle encore de cette société que je trouve absurde

• Et dernière question, puisqu'on a pris un peu de retard avant l'interview, justement tu parles de BD sur le caca tout ça, la BD jeunesse c'est un truc qui t'attirerait ?

[rires] Ouais, c'est vraiment un projet oui, j'ai vraiment un truc dans les tuyaux, qui s'appelle Super-caca...

• Est-ce que tu crois que c'est pas logique de faire cette BD là [en désignant la Petite mort 3] qui va être l’exutoire de la vie, de l'amour, de machin, et après arriver à la BD jeunesse, de vouloir revenir dans ce cheminement un peu comme ça en disant " allez on y retourne ".

Alors entre-temps, entre la petite mort 3 et Super-caca, à priori il va y avoir une BD qui va sortir qui s'appelle "Dieu n''aime pas papa", qui va être la BD la plus adulte, en tout cas ma BD la plus adulte dans le fond, le traitement et le discours. C'est dessiné par Camille Moog et moi. C'est un enfant, je peux pas spoiler, mais son père est pas là. Et sa mère est là, et c'est une putain de croyante. Trop. Et ça empêche l'enfant de vivre. Et l'enfant décide de dessiner la Bible. Mais avec ce qu'il en a compris. Donc les dessins de l'enfant c'est mes dessins. Mais avec sa compréhension du livre. Donc, là, j'aurai une histoire très adulte, mais avec un discours d'enfant, avec un dessin d'enfant, et ça sera le lien je pense entre la Petite Mort 3 et Super-caca. Et Super-caca sera pour les enfants, mais malgré le titre, ce sera intelligent. Ça va être du Shonen, français. Bon on en a pas 12 000, il y a Lastman je crois.

• Ouais Lastman, Radiant et City Hall.

Donc ouais Lastman, Radiant, City Hall...

• Et Dreamland aussi de Reno Lemaire.

Ouais et Dreamland. Si, Les Légendaires aussi. Enfin voilà, je veux pas que quelqu'un puisse dire que Super-caca c'est une BD de merde, donc je fais tout pour que ce soit au millimètre, pour que les enfants aiment, mais pour que les adultes trouvent aussi quelque chose, et forcément ce sera plus pour les enfants, je vais parler d'amitié, de grandir, des rêves. Et ça ça me parle, parce que j'ai réalisé mes rêves, la plupart, j'en ai même réalisé que je n'avais pas rêvé, et je veux parler aux gosses, parce que je vais dans les écoles, genre je suis allé en Ardèche pour parler de la Petite Mort, t'as des gamins dans les collèges, qui croient pas que je viens de la ville ou ils sont nés. Parce qu'ils se disent que je suis auteur de BD de vidéo, que je suis d'une autre planète, et qu'on peut pas être Ardéchois et faire ces trucs. Et moi, ma mère m'a toujours dit que j'étais capable, et je pense que si j'ai réussi, c'est qu'on m'a jamais dit que j'étais pas capable de le faire. Et je l'ai cru, et je pense qu'il faut que les gamins croient en leurs rêves. Et cette BD, Super-caca, ça va parler de ça. C'est à dire que même ton rêve le plus merdique, si tu le choie, si tu le travailles, si t'es là, il se réalise.

• Et il s'assume aussi parce qu'il y a un vrai discours aussi là dessus.

Moi je gagne ma vie aujourd'hui grâce à mon cerveau, j'ai que le Brevet des Collèges, et mon truc c'est l'imaginaire. Le truc c'est de lire des BD et regarder des dessins animés, et aujourd'hui on me paye pour raconter des histoires, et tout ce que je faisais enfant ou ma mère me disait pas " Ah t'es trop devant la télé, Ah tu lis trop de BD ! ", en fait, je travaillais. Et quand je jouais trop aux jeux vidéos, les gens aujourd'hui... Une fois j'étais en Ardèche, une dame devant moi au bureau de tabac, et son gamin arrive, il avait 8 ans et il avait un Picsou Magazine. Et sa mère lui arrache des mains, elle lui dit " Je t'ai dit quoi ? C'est uniquement lors des vacances ! ", et elle allée le reposer. J'étais avec ma copine de l'époque, j'ai commencé à dire à haute voix " Mais quelle connasse ! ", elle me faisait "Calme toi, calme toi!", et j'étais prêt a acheter le Picsou Magazine pour l'offrir au gamin, ma copine de l'époque m'a dit "mais arrêtec'est pas ton problème, laisse tomber" etc. Et cette mère, là, je la déteste. Il faut pas faire ça aux mômes. Putain c'est le moment ou tu rêves l'enfance, c'est le moment ou tu sais pas encore trop que les adultes c'est des connards.

• Et c'est marrant que tu dises que tu travaillais à l'époque, parce du coup il m'est arrivé exactement la même chose quand j'ai réalisé que moi aussi à me buter de culture pop, gamin, c'était pour mon bien plus tard, pour avoir les références, et pourtant retenir que l'émotion, et le truc très brut, la madeleine et tous ces phénomènes psychologiques qui vont en découler, ça vient de cette innocence là. On a cette réflexion aujourd'hui parce qu'on y travaille, parce qu'on a la chance, de dingue, que des gens nous permettent de faire ce boulot, dans une société, qui, malgré son absurdité, nous permet d'avoir ce job, d'être créateur ou journaliste culturel, qui sont quand même des trucs de fous, et dont on aurait à peine rêvé quand on était gamins, moi je voulais tester des jeux vidéos, parce que gamin je pensais que c'était le truc ultime. Et quand bien même les gens ne travaillent pas dedans après, tout ce qu'il ont accumulé comme culture et comme sensibilité quand ils étaient gosses, quand ils étaient ados, quand au moment ou tu commences à courir après les filles, tu continues un peu à lire des mangas discrètement, parce que même si tout le monde se fout de ta gueule tu te dis " Putain c'est mortel quand même ", et tu découvres des animés parce qu'Internet, etc.
Et, même si derrière tu vas finir manutentionnaire, parce qu'aujourd'hui j'ai des potes qui me désintègrent intellectuellement et qui font pourtant les pires boulots du monde. Et ben même si c'est ça, toute la somme de ce que tu vas apprendre et tout ce qui va te bâtir en tant qu'être humain., c'est plus que précieux. J'ai tendance à dire que t'apprends la vie avec Dragon Ball et la politique avec Star Wars, et même si aujourd'hui je suis là " Ouais attention aux corporations, au matraquage et au génocide culturel par les licences", ben ça tu peux pas l'enlever quoi. Ça nous a forgé, et toutes les vies sont forgées par l'enfance.

Mais moi je pense qu'un enfant heureux ne peut pas devenir une mauvaise personne. Adolf Hitler son père il l'a frappé pendant toute son enfance. Au bout d'un moment le mec il avait un truc contre l'humanité. On le sait tous, mais je pense que si son père avait été plus cool, qu'on lui avait fait lire de la BD et laissé faire de l'art...

• Il aurait pas kiffé Captain America quand même...

Non, peut être pas ! Peut être qu'il aurait été un petit peu moins énervé. Mais oui je pense qu'il faut cultiver le rêve, ça fait des gens moins cons.

• C'est une belle conclusion, et vive l'imaginaire de toute façon ! Merci Davy, c'était super intéressant, et puis on se retrouve à Angoulême, et on reparle de Relation Cheap à ce moment là puisqu'on va se revoir pas mal de fois avec tous tes projets.

Ouais, là normalement j'ai au moins quatre BD qui vont sortir.

• En 2016 les quatre?

Non en 2016 j'ai Relation Cheap, Loup-Phoque, Dieu n'aime pas papa et la petite mort 4, et en 2017 j'ai un projet avec Trondheim qui va s’appeler Infinity Eight, il n'y a pas que moi dessus.

• Ouh ça sent l'aventure et le gros projet ça.

Ben c'est un projet de Lewis et Vatine, chez Rue de Sèvres. Ça va être ouf, Lewis il a appelé tous les gens du métier avec qui il avait envie de travailler, et il y aura quelques noms ! Moi quand on m'a dit que j'étais dedans, j'ai dit " Vous êtes sûrs ? Vous avez vu les autres noms ?" [rires] 
Donc c'est un truc qui va sortir qui va être cool pour les fans de Science fiction, de culture pop ça va être trop bien.


• Ça c'est une vraie belle conclusion, merci Davy !

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