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par Alfro - le 3/02/2016
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par Alfro - le 3/02/2016

FIBD 2016 : L'interview de Régis Hautière (Perico, Alvin)

Le premier jour de notre périple angoumoisin nous a amené à croiser Régis Hautière, l'un des scénaristes les plus polymorphes et présents dans les rayons de librairies BD. Présent dans le Poitou pour présenter les nouveaux tomes d'Alvin et de Perico, il nous a reçu sur le stand de Dargaud où il nous a accordé la première entrevue de son long week-end.
 

Régis Hautière, l'interview



• Bienvenue à Angoulême ! Par rapport à vos BD récentes, Perico semble être quelque peu plus dur...

Oui, puisque l'idée avec Philippe c'était de partir sur quelque chose de plus noir. Après, j'ai toujours du mal à comparer une de mes BD avec les autres, parce que j'essaie de toujours faire des choses différentes. Ma principale source d'inspiration, c'est le dessinateur et son univers graphique. Pour Perico, si je me souviens bien de la génèse du bouquin, c'est Philippe qui m'avait contacté après avoir lu Abélard. Donc on est assez loin de Perico a priori. A l'époque, il cherchait un nouveau scénariste, il voulait commencer une nouvelle collaboration, pour changer un peu de ce qu'il faisait. Et donc il m'a demandé de lui écrire un scénario, sans vraiment d'indications au départ, si ce n'est qu'il avait envie de partir sur un thriller, un polar, parce que c'est ce qu'il aimait bien. Ok, je lui ai écrit une première histoire.

Il ne l'a pas retenu, notamment à cause des décors. Il avait déjà dessiné New York et Las Vegas dans sa précédente BD, et il avait envie de passer sur des choses différentes. Je lui ai demandé alors de me dire ce dont il avait envie, et voilà, il avait envie de dessiner des jolies filles et des jolies voitures (rires). Et aussi les Etats-Unis des années 50. Oui bon voilà, on va faire du Philippe Berthet. Et donc, j'ai décidé de faire commencer l'histoire à Cuba. Quelque chose qu'il n'avait jamais exploité et donc il était ravi. J'ai écrit l'histoire en m'inspirant de son univers, mais pas forcément de ce qu'il avait fait parce que de Philippe Berthet, je n'avais lu que Pin-Up et Nico. Je n'avais pas lu Sur la Route de Selma, et je ne l'ai toujours pas lu d'ailleurs (rires), alors que c'est ce qu'il a fait de plus proche de Perico à ce qu'on m'a dit. Donc voilà, je me suis beaucoup inspiré de ses dessins, de son amour pour les Etats-Unis qu'il ne visitera peut-être jamais.

• C'est un pays que vous, vous avez visité ? Parce que ce soient les Etats-Unis ou Cuba, on en ressent bien l'atmosphère.

Non, pas du tout. Je suis ravi que les lecteurs le ressentent comme ça, parce que ni Philippe ni moi sommes allés dans ces pays. Lors d'une interview dans une émission de radio, j'ai rencontré un écrivain cubain en exil. Il avait passé son enfance et adolescence dans le Cuba des années 50 et 60. Il était persuadé qu'on était allé là-bas parce qu'il y retrouvait le Cuba de sa jeunesse.

Quand je pars sur un projet comme ça, quand j'ai l'idée bien en tête, je vais beaucoup me documenter, je vais beaucoup lire de romans. D'écrivains cubains en l'occurence. Pas pour avoir forcément des descriptions précises de Cuba, mais pour ressentir l'ambiance et l'âme cubaine. Et je pense que ça aide beaucoup parce que j'ai l'impression de connaitre un peu cette culture. Et pour le tome 2, j'ai beaucoup lu de romans qui se passaient dans le Sud des Etats-Unis, comme Sur la Route de Jack Kerouac ou d'autres romans qui se passaient soit en Louisiane soit au Texas. J'envoyais beaucoup de photos que j'avais trouvé à Philippe, et lui-même a pas mal de doc sur les Etats-Unis.

• Que ce soit dans Perico ou d'autres de vos œuvres récentes, comme Alvin, ça n'en fait jamais trop mais on trouve facilement le message sous-jacent. Dans Alvin par exemple, on a l'impression que c'est une BD pour enfant alors qu'on se rend compte que c'est peut-être plus pour nous.

Sur Abélard, y'a eu mal-donne. Alvin, y'avait déjà eu Abélard avant, donc on savait à quel public on allait être confronté. Mais pour Abélard, je n'avais pas du tout l'intention de faire une BD jeunesse. C'est le problème des personnages animaliers, tout de suite en France on ramène ça à la jeunesse. Je ne sais pas si lié à Mickey ou quoi. C'est marrant parce que Renaud Dillies avait essentiellement un lectorat adulte. Donc on ne s'est pas posé la question. Mais on s'est retrouvé avec des libraires qui ont placé l'album en jeunesse, les médiathèques aussi, il a aussi été sélectionné dans plusieurs prix jeunesse en France, alors qu'aux Etats-Unis, il a été sélectionné aux Eisner et Harvey Awards dans les catégories adultes.

On s'est posé la question. C'est vrai que la couverture du tome 1 a un côté joyeux, avec des couleurs chaudes. Mais ça n'a pas affecté l'écriture du tome 2 puisqu'on l'avait terminé quand le tome 1 est sorti. Il n'y a eu aucun impact entre les retours des lecteurs et l'écriture du tome 2, même les couleurs étaient finies.

Mais Alvin, j'ai eu beaucoup de mal à l'écrire parce que les précédents bouquins étaient beaucoup passés entre les mains d'enfants, j'ai même fait des interventions dans des collèges : "Mais Monsieur, pourquoi il y a autant de gros mots ?". Donc voilà, j'ai écrit Alvin avec cette perspective là, sachant que ça peut être lu par des gamins alors qu'au départ ça ne leur ai pas destiné. Au départ, ça a beaucoup influé sur mon écriture. C'était même problématique parce que ça me bloquait complétement. J'en ai discuté avec Christelle Blanc, mon éditrice sur Alvin, elle m'a dit de faire comme sur Abélard, de partir sur un truc adulte et après c'est aux libraires de prévenir les gens, ça peut être lu par des enfants, mais y'a des gros mots, un propos assez dur. Evidemment, si on met ça dans les mains d'enfants de 8 ou 10 ans, c'est un peu raide.

Par rapport au message, Alvin et Abélard c'est une écriture sur le fil. Perico, on est déjà plus dans une écriture codifiée. Alvin, on est sur une sorte de conte philosophique avec beaucoup de poésie, pas mal de noirceur et aussi beaucoup d'humour. Et assez facilement en fait, on peut basculer soit vers le cucul, le mièvre ou le ridicule. Et en fait, quand j'écrivais Abélard, on avait pas le soucis du retour du public. Alvin, quand on l'a fait, on l'a fait aussi pour remercier le public de tous les retours positifs qu'il nous a fait. Mais ça veut dire aussi qu'il y avait une attente hyper forte et qu'on ne pouvait pas se planter. J'ai mis beaucoup de temps à l'écrire, toujours avec cette peur de basculer dans un message cucul-la-praline, mais ce qui sauve ça, c'est que l'on a un contexte assez sombre.

• Abélard, un dyptique. Alvin, un dyptique. Il pourrait y avoir un nouveau dyptique pour continuer l'histoire ?

Peut-être. Mais on a fait Abélard comme on a fait Alvin, en pensant que ce serait la fin de l'histoire. Quand on a finit Abélard par contre, on avait un petit pincement au cœur en se disant que le personnage de Gaston était en train d'évoluer vers quelque chose d'intéressant, et on avait cette envie de continuer avec lui. Et puis notre éditeur et nos lecteurs nous demandent de faire un dyptique sur lui. On va en discuter avec notre éditeur chez Dargaud, mais si ça se fait, ce ne sera pas pour tout de suite et il faut qu'on en ait l'envie. On ressent aucune obligation de faire un nouveau dyptique. En plus, comme ce n'est pas un succès commercial hallucinant, on n'a pas de pression financière particulière derrière. Faut vraiment qu'on ressente l'envie et l'intérêt, et qu'on ait la bonne idée.

• Justement, quels sont vos projets pour l'année à venir ?

Moi, je suis déjà engagé sur quatre séries. Y'a Aquablue, La Guerre des Lulus, Les Spectaculaires, dont le premier tome vient de sortir, et Les Trois Grognards, une série avec Fred Salsedo avec un côté décalé qui se déroulera durant les guerres napoléoniennes. On va suivre toute l'épopée napoléonienne en suivant trois soldats du rang qui sont trois caractères bien particuliers et qui donnent donc lieu à des situations bien particulières. On ne va pas vraiment suivre les grandes batailles, même s'ils y participent. C'est un peu comme Les Tuniques Bleues, d'ailleurs quand on l'a présenté aux éditeurs, on l'a décrit comme les Tuniques Bleu-Blanc-Rouge. Voilà, l'esprit est un peu là, l'humour et le dessin seront différents, mais en tout cas l'idée c'est ça. Le premier tome sortira en mai chez Casterman, et ce sera prévu en trois tomes.

J'ai un nouveau projet aussi, je ne sais pas si je peux déjà en parler. Ce sera chez Rue de Sèvres. Avec Comix Buro toujours, avec Olivier Vatine. C'est une sorte d'adaptation en bande dessinée de l'émission de France Inter, Rendez-Vous avec X, avec plein de dessinateurs et scénaristes différents. Chaque fois on traite une affaire différente, une affaire d'espionnage généralement. Là je fais le tome pilote. J'ai donc cinq albums pour cette année.

• Maintenant, on voudrait parler des Etats-Généraux de la BD. Le contexte est un peu particulier, le milieu se paupérise mais il mute aussi. Comment en tant qu'auteur on se place là-dedans ?

Moi c'est un peu particulier, je n'ai pas à me plaindre. Le secteur a beaucoup évolué du fait de la surproduction, qui est pas vraiment un problème pour beaucoup d'éditeurs. Delcourt, Glénat, c'est comme ça qu'ils ont pu grossir. Soleil aussi. Pour les auteurs qui de fait ne touchent plus d'avance sur droit, parce que les bouquins ne se vendent plus assez pour couvrir les avances sur droit, les à-valoirs n'ont pas bougé depuis 15-20 ans. Depuis que je fais ce métier-là, un peu plus d'une quinzaine d'années maintenant, le montant de mes avances sur droit n'a quasiment pas évolué. Pour les dessinateurs, c'est pareil. Alors que le coût de la vie a augmenté.

Comme j'ai la chance de signer des projets chez la plupart des gros éditeurs du marché, j'ai des avances sur droit qui sont correctes, et je bénéficie surtout d'un suivi qui permet à mes séries de bien marcher et de couvrir mes à-valoirs pour rapporter des droits d'auteur. Mais ce n'est pas le cas des scénaristes. Pour un scénariste, pour vivre, il faut en gros faire quatre albums dans l'année. Moi j'ai l'avantage d'avoir La Guerre des Lulus qui est une série qui est beaucoup étudiée dans les collèges et lycées, et donc on me demande beaucoup d'interventions, qui sont rémunérées. Cela fait donc un complément de revenu qui n'est pas négligeable. Mais encore une fois, ce n'est pas pareil pour tout le monde. Et il y a beaucoup d'auteurs qui ne veulent pas faire d'interventions, parce qu'ils ne se sentent pas à l'aise, parce que ce n'est pas leur métier. Si on a ni de droits d'auteurs, ni de revenus à coté, pour les dessinateurs il faut faire un album par an pour en vivre.

• Oui, pour un dessinateur qui va prendre son temps pour faire un album, cela peut devenir difficile. Pour un Juanjo Guarnido par exemple, ce n'est pas simple de suivre le rythme. Même si Guarnido ne fait évidemment pas partie des auteurs qui doivent avoir des soucis de trésorerie.

Oui c'est sûr. Surtout que Guarnido, il vient du monde de l'animation. Quand il travaillait sur Blacksad, il continuait à faire de l'animation, ce qui lui permettait de vivre correctement. Mais oui, il y a pas mal d'auteurs qui vivent difficilement. Et à mon avis, le principal responsable, c'est cette production pléthorique, parce que la plupart des titres n'ont pas leur chance en librairie. Les libraires n'ont plus le temps de lire les bouquins. C'est donc toujours les même séries qui sont mises en avant. Quand un bouquin est repéré, par un ou deux libraires, y'a un effet boule de neige qui va lui profiter.

Les éditeurs réduisent leur production, un poil, mais ce n'est pas suffisant. Réduire la voilure c'est bien, si on fait partie de la voilure qui reste aussi (rires). Les coûts de production et d'impression ont vachement diminué en 20 ans, les éditeurs s'en sortent. Maintenant, le seul poste où ils peuvent renié, une fois qu'ils ont dégraissé le mammouth en licenciant quelques personnes dans l'organigramme, c'est sur la rémunération des auteurs.


• Les coûts de production ont baissé, les prix de vente n'ont pas baissé, pourtant les auteurs gagnent pas plus.

Oui, car en fait le nombre d'exemplaires vendus par tome a diminué. Quand j'ai commencé, j'ai eu un rendez-vous avec un éditeur chez Glénat qui me disait qu'une nouvelle série de jeunes auteurs qui n'ont jamais publié, en moyenne on vend ça à 10 000 exemplaires. Maintenant la moyenne, il y a quatre ou cinq ans elle était tombé en-dessous de 5000 et maintenant elle doit être entre 2 et 3 000 exemplaires.

• Fabien Vehlmann en parlait en évoquant Ian, qu'il avait fait avec Ralph Meyer, que pour imposer une nouvelle série, il y avait aussi un facteur chance.

Il faut avoir la bonne idée, qui doit trouver son public. Mais très rapidement. Car si elle ne rencontre pas son public rapidement, le tome 2 n'aura pas sa chance. Pas parce qu'il ne sortira pas, il peut sortir en librairie, mais parce qu'il ne sera pas mis en avant, avec peu d'exemplaires commandés.

Quand il y a pléthore de livres à sortir comme ça, le lecteur se retrouve face à un problème. On rentre comme ça dans une librairie, il y a 200 nouveautés par rapport à la dernière fois où on est venu, c'est à dire il y a deux semaines. On ne sait pas quoi choisir, donc en fait on se réfugie dans les valeurs sûres, les titres et les auteurs qu'on connait. Ce qui fait qu'une nouvelle série qui arrive sur le marché, ça reste très difficile parce qu'elle est en concurrence avec des séries qui sont déjà bien installées et que le portefeuille des acheteurs n'est pas extensible. Le lecteur a déjà quinze séries à suivre, il va pas s'aventurer plus loin.


• Pour vous, c'est bien moins risqué de lancer un nouveau tome d'Aquablue qu'un album d'Alvin par exemple.

C'est sûr, cela n'a rien à voir ! Prenons l'exemple d'Amazon, ils mettent en avant le nouveau tome d'Aquablue deux mois avant sa sortie, alors qu'Alvin, même le jour de sa sortie, il faut le chercher pour savoir qu'il est là. Et encore, il y a eu Abélard avant. Pour Les Spectaculaires, il va être quatre cent millième dans le top des ventes. Le seul espoir pour un nouveau titre, c'est les librairies spécialisées. Amazon, Cultura et les FNAC, ils ne savent travailler que les séries déjà installées. Ils vont être très bons pour vendre des tome 3 et tome 4 de séries qui cartonnent déjà.

• Justement, pour une série comme Les Trois Grognards, comment vous discutez avec les éditeurs en amont de sa sortie ?

Là, ils sont justement en train de travailler dessus. Déjà, il faut que l'éditeur y croit beaucoup sinon c'est pas la peine. J'ai déjà lancé des tomes 1 avec des éditeurs qui ne l'appuie pas, c'est le désastre assuré. Et c'est le problème de certains éditeurs, je ne citerai pas les noms mais je les connais bien, je travaille avec (rires). A contrario, La Guerre des Lulus a été particulièrement bien appuyé, avec des posters et compagnie, et cela a joué sur ses bonnes ventes. Ce qui a permis de lancer la série.

Merci beaucoup ! On se revoit pour la sortie des Trois Grognards !

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