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par Elsa - le 28/10/2015
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par Elsa - le 28/10/2015

Herik Hanna (Détectives tome 4), l'interview

Tome après tome, Herik Hanna rend avec Détectives un superbe hommage à la littérature et au cinéma policiers, en s'associant, pour ne rien gâcher, à des dessinateurs particulièrement talentueux. Depuis le one-shot 7 Détectives, puis dans chacun des quatre premiers volumes parus de sa série Détectives (où chaque tome met en scène un des 'sept'), les amateurs de polars se régalent de ses enquêtes particulièrement bien écrites, bien menées, et bourrées d'humour et de surprises. Des personnages géniaux, des meurtres incompréhensibles et des rebondissements imprévisibles, un 'esprit' propre au genre parfaitement retranscrit, et des planches plus belles les unes que les autres ? Difficile de bouder son plaisir.

À l'occasion de la sortie du quatrième opus dessiné par Thomas Labourot, Herik Hanna nous en dit plus sur ses influences, sur son travail sur cette série, et nous livre à demi-mot un petit secret...

Comment est né 7 Détectives, puis l'idée de décliner ces personnages en une série de one-shot ?

Les places étaient très chères sur la deuxième saison de 7 et j’avais déjà participé à toutes les autres séries concept de D.C ( David Chauvel ). J’ai proposé plusieurs synopsis. Le premier a été refusé. Le deuxième aussi. J’ai couché un dernier essai en 5mn : « Les 7 meilleurs détectives du monde réunis dans la même enquête ». Comment refuser un truc pareil ? C’est ensuite que je me suis rendu compte que ça allait être très, très compliqué. Trop tard pour reculer. Ça a commencé comme ça…

Et comme ça ne m’avait pas suffi de m’arracher les cheveux par poignée sur 7D, on a remis ça. Miss Crumble a sonné un matin, un sourire aux lèvres et une tasse de thé à la main. Elle a dit : « Écris une histoire rien que pour moi ». C’est assez amusant car la première page de l’album qui a suivi…  l’énumération d’une longue liste de sévices corporels… est aussi une promesse.  Ici, vous trouverez du sang, des crimes et des meurtres atroces. Miss Crumble s’adresse autant aux futurs lecteurs de la série qu’aux intrus dans son jardin. 

As-tu effectué un gros travail de documentation ?

Oui, parce qu’il a fallu rassembler pas mal d’éléments concernant les détectives dont nous nous inspirons, notamment pour pouvoir s’en émanciper. Et non, puisqu’il s’agit d’histoires et d’enquêtes originales. Il faut aussi préciser que le monde des Détectives n’est pas la réalité. La plupart des lieux… ou des quartiers de Londres où se déroulent l’action par exemple… n’existent pas. Dans cet univers, le petit village de Sweet Cove est connu pour ses jardins fleuris et sa célèbre institutrice retraitée… et Jack, l’Eventreur a cédé sa place à l’Egorgeur de Greenhill. C’est leur monde… et donc pour moi, un univers de grande liberté. Contrairement aux codes du genre où il est difficile de « plier sans rompre ».    

Construis-tu tes personnages en amont de l'écriture, ou s'affinent-ils au fur et à mesure ?

Cette question mériterait… un livre entier. Elle revient à demander si les personnages « sont » ou « deviennent ». Je n’en sais absolument rien. Je travaille à l’aide d’une « non-méthode » basée essentiellement sur l’instinct et la spontanéité. À titre d’exemple… j’ignorais qui était le Monstre Botté en commençant l’écriture de Miss Crumble… et j’ignorais totalement qui était Sophie Bisset en attaquant la première page de The Voice. Ces histoires m’ont été révélées par les personnages. Je ne sais pas s’ils « sont » ou « deviennent »… je sais juste qu’ils m’intiment gentiment l’ordre de me lever à 4h du matin pour aller corriger la case 4, page 36… parce que décidemment «  cependant », ça sonne beaucoup mieux que « mais ». 

Comment se déroule ton travail d'écriture sur cette série ?

Bien que tirée d’une série concept et malgré le côté « one shot » apparent… un enquêteur, un crime, un tome… Détectives est une vraie série. Avec toutes les particularités que ça comporte. Notamment un début ( initié dans 7 Détectives ) et une fin. Les éléments liés se font encore discrets pour l’instant. Mais vous verrez que des liens insoupçonnés relient certaines histoires. Donc, j’ai travaillé chronologiquement, tome par tome évidemment, depuis quatre ans maintenant…  en semant des références et des détails ici et là…  des détails qui prendront tout leur sens dans les tomes encore à paraître. 

Comment s'est passé le choix des dessinateurs sur chaque titre ?

Il y a un « truc Détectives ». Un style qui emprunte au cartoon, un trait très dynamique, très expressif. C’est une particularité qui relie des artistes aussi différents que Sylvain Guinebaud et Thomas Labourot par exemple. Nous avons besoin de ce « truc » à nouveau pour créer une distance, une marge vis-à-vis de la réalité. Pour assumer totalement le statut fictif de la série. Ça permet d’appuyer aussi les éléments comiques, la parodie… et d’ancrer à nouveau le monde des Détectives dans un style particulier. Nous avons dû malheureusement refuser les propositions de très bons dessinateurs… en raison de ce fameux « truc » qui leur manquait.    

Comment se passe votre collaboration avec les dessinateurs pendant l'écriture de chaque tome ?

Très bien. Mais peut être… parce que je n’entretiens aucune collaboration avec les dessinateurs au moment de l’écriture ( rires ). Je reste dans ma grotte, le plus isolé possible. Je ne connais souvent pas leurs noms à ce stade. Thomas Labourot et Julien Moteler étaient les deux seuls choisis juste avant le début du scénario. Julien est d’ailleurs celui qui a été le plus informé de l’avancée du projet. Arrivé à la 47e page du scénario qu’il allait dessiner, soit 7 pages avant la fin, je me suis rendu compte que c’était… moyen. Pas assez bon. J’ai tout recommencé, ou presque. Avec un nouveau cadre, un nouveau casting complet et une enquête totalement différente. Il fallait le rassurer, lui signaler : «  Bon, je me suis totalement planté… mais je vais me rattraper. » Au final, c’est l’une de mes enquêtes préférées et je crois que Julien l’aime beaucoup aussi. 

En revanche, si les dessinateurs ne sont pas encore les complices du crime au moment de l’écriture, notre collaboration est évidemment très étroite dès la planche test, puis sur le story-board de l’album etc.  Avec de nombreux échanges sur la meilleure façon de révéler l’histoire aux lecteurs. C’est aussi vrai avec D.C et Lou, l’excellent coloriste de toute la série depuis 7 Détectives

As-tu toujours été un gros lecteur de polar ?

Oui, je crois. Je suis passé de Daredevil à Ric Hochet, puis d’Agatha Christie à Simenon, de Michael Connely à R.J Ellory… en passant par James Ellroy, Thomas Harris ou Jack Higgins. Le cinéma et les séries ont aussi énormément compté. 

Quels sont les ingrédients d'un bon polar ?

Prenez un peu de crime atroce énigmatique, assaisonnez avec un large casting de suspects et de possibilités, saupoudrez à l’aide de déductions pointues et surtout, n’hésitez pas à charger la dose sur l’enquêteur charismatique. Non… ce serait trop facile. Il n’y pas de formule magique. C’est pour ça que c’est très compliqué.   

À titre d’exemple… tout le monde reconnait l’attrait et le pouvoir de séduction qu’exerce Hercule Poirot dans ses enquêtes. Ernest Patisson est évidemment notre, petit et modeste, hommage à cette grande figure policière. Mais peu de personnes savent qu’Hercule Poirot est lui-même un hommage aux précédentes lectures d’Agatha Christie dans sa jeunesse. Il est lui-même le mélange, très personnel, du policier français « monsieur Poiret » de Frank Howel Evans et du « Hercule Popeau » de mrs Belloc Lowndes.  Agatha Christie parodiait déjà ses lectures préférées pour en tirer une substantielle moelle. Il faut croire qu’elle accordait beaucoup d’importance à ces ingrédients particuliers.    

Tu rends vraiment hommage à la littérature policière, aux films policiers aussi, dans cette série. A-t'il été difficile de transposer leurs codes à la bande dessinée ?

Oui. À nouveau, c’est très compliqué. Par exemple… je suis obligé d’être particulièrement bavard. Ce n’est pas en raison d’un besoin soudain de noircir des pages sur cette série. Mais je suis obligé de « noyer le poison » sous des litres et des litres de bave. Ou les éléments de l’intrigue seraient bien trop évidents. Dans une bande dessinée, on peut faire machine arrière, relire un passage, s’arrêter sur un détail le temps voulu… contrairement au cinéma où un passage faussement anodin est consciencieusement et rapidement expédié. Le roman permet ces dissimulations naturellement. Parce qu’un livre n’est rempli que de mots. C’est un labyrinthe naturel. La bd est un art graphique. Le mot ne peut pas l’emporter sur le trait. Et en même temps, le trait ne doit pas révéler ce que dissimulent les mots avant le moment voulu. C’est l’une des difficultés. D’où, à nouveau, la nécessité d’une parfaite entente et compréhension avec le dessinateur. 

Quel est le roman policier et le film policier qui t'ont le plus marqué ?

Le roman doit être «  Le Meurtre de Roger Ackroyd », d’Agatha Christie évidemment. Le film est sans hésitation, et sans beaucoup d’originalité, « Heat » de Michael Mann. « Usual Suspect » de Bryan Singer et « Garde à Vue » de Claude Miller le talonnent de près. 

Cette année est aussi paru le troisième volume de Bad Ass, peux-tu nous parler de ce nouveau tome ?

Ce troisième tome est la croisée des chemins. Les deux premiers albums semblaient être les portraits de deux super-vilains. Mais ils dissimulaient des éléments qui se rencontrent enfin dans « Who’s The Boss ? ». Le titre est lui-même un clin d’œil à… non seulement à «  Madame est Servie », non seulement au nom du héros de cet opus… mais aussi aux véritables enjeux de l’histoire globale. C’est un tremplin vers la fin. Elle arrive. Bruno fait déjà des merveilles de son côté.  On vous promet un joli feu d’artifices pour finir.  

Quels sont tes projets pour les mois à venir ?

Un ukulélé, une plage de sable fin, un crabe qui parle peu pour seul ami… ce serait parfait. Je viens à peine de terminer le dernier tome de Détectives. Cela fait sept ans, presque jour pour jour, que j’ai signé mon premier contrat. Il y a beaucoup de collaborations en cours et encore à venir sur les trois séries ( Bad Ass, Détectives et Blind Dog Rhapsody )… plus une petite apparition avec Mara dans le prochain Axolot de Patrick Baud… mais je n’ai, aujourd’hui, plus d’obligations pour la première fois depuis cette date. Honnêtement, je crois que je vais m’asseoir sur un caillou et regarder les mouettes passer quelques semaines. Ensuite…  

Pour finir, aurais-tu quelque chose à nous dire concernant le comics Lucy Loyd's Nightmare ?

Si j’étais Lucy LoydNightmare serait sans aucun doute mon scénario préféré. Ce livre, hantée jusqu’au tréfonds de son être, n’aurait pas pu voir le jour sans le talent de l’artiste qui se cache derrière Mike Robb, la complicité de la célèbre Beverly et sans le soutien indéfectible d’un vieux complice. Si j’étais Lucy Loyd, j’aurais la prétention de penser que cet album détruit le 4e mur à coups de hache comme peu de récits l’ont fait avant lui. Et le tenir enfin entre mes mains m’aurait peut-être arraché une larme et un rire machiavélique. Car au moins… j’aurais fait ça dans ma vie.  

Mais Lucy Loyd est une vieille femme en chaise roulante. 

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