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par Elsa - le 6/08/2014
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par Elsa - le 6/08/2014

Japan Expo 2014 : l'interview d'Aurore (Harfang)

En parallèle de son travail de dessinatrice sur Elinor Jones (scénario d'Algesiras, éditions Soleil) et Lady Liberty (scénario de Jean-Luc Sala, toujours chez Soleil), Aurore s'est mise à publier Harfang en wecbomics en janvier 2012. Le feuilleton a duré deux ans, et la bande dessinée papier, colorisée et légèrement retravaillée, est parue chez Delcourt en juin dernier.

Harfang raconte l'histoire de Bran et Lynette, deux fiancés séparés suite à la malédiction d'une socière. C'est en fait l'adaptation d'un conte des frères Grimm, qu'Aurore a placé dans un univers de fantasy asiatique.

Présente à la Japan Expo, elle a répondu à nos questions sur le parcours éditorial un peu atypique d'Harfang, sur ses méthodes de travail et sur ce qu'implique l'auto-publication.

Peux-tu nous raconter ton parcours ?

J'ai fait des études de biologie appliquée, ce qui n'a rien à voir avec le dessin. Comme je n'ai pas fait la filière que je voulais. c'était théorique et je voulais faire du pratique, à la fac j'ai commencé à dessiner dans les marges, à faire plus de dessin, et je me suis prise de passion pour ça.

Suite à ça j'ai publié de la bande dessinée avec des amis dans un fanzine. Et une fois que j'ai eu mon diplôme de biologie appliquée, j'ai su qu'en fait je voulais faire du dessin.

J'ai fait un stage en dessin animé, puis j'ai été embauchée dans un autre studio, où je suis restée deux ans. Ensuite j'ai fait Pixie chez Delcourt. Et depuis je fais toujours de la bande dessinée.

Comment résumerais-tu Harfang et comment est née cette histoire ?

C'est l'adaptation d'un conte de Grimm, Jorrinde et Jorringel, dans un univers de fantasy asiatique.

Ça faisait très longtemps que je voulais faire une bande dessinée sur l'Asie. Mais plus proche des films hong kongais, les films d'épées. Ce côté plutôt chinois que japonais, même s'il y en a aussi au Japon.

J'en discutais avec mes éditeurs, mais ils étaient réticents. Ils me disaient que ça faisait trop Naruto etc, même si je leur disais que je ne voulais pas faire ça. Du coup je n'ai jamais proposé de dossier.

Et puis comme j'ai fait l'adaptation d'un petit conte coréen en bd, le format, l'univers m'ont plu, j'ai eu envie d'en faire une autre.

Et c'est comme ça qu'est né Harfang, que j'ai commencé à faire en webcomics, et que Delcourt a publié ensuite.

Justement, Harfang était un webcomics, que tu as réalisé en parallèle d'autres projets. Comment s'est passé ton travail sur ce titre ?

L'avantage, c'est que c'était très différent, au niveau de la réalisation, par rapport à mes albums classiques.

Une grosse pagination, une narration manga, un travail en noir et blanc, même si après il y a eu de la couleur. Mais c'est une couleur plus simplifiée, par rapport à un album de 45 pages où je travaille la couleur en modelé. Donc ça n'est pas du tout le même travail sur les pages.

Alterner les deux me faisait une récréation. Quand j'en avais marre de l'un je passais à l'autre. Et en fin de compte, c'est passé tout seul. Alors que je ne pourrais pas faire deux albums 46 pages, ou deux grosses paginations en même temps.

J'ai vraiment besoin de varier mon activité. Ne pas travailler à la chaîne. Au final je suis plus efficace, et j'ai donc pu caser une page d'Harfang par semaine pendant que je travaillais sur Elinor Jones et Lady Liberty.

As-tu effectué un gros travail de recherches pour trouver le conte qui correspondrait ? Et est-ce que ça a été compliqué d'équilibrer entre le respect de cette première trame qu'il y avait et ce que tu avais envie de rajouter ?

Je cherchais un conte assez court, et assez succinct au niveau de la trame, des détails. On peut vraiment broder dessus comme on veut.

Je ne me suis pas demandé ce que je peux adapter, ou comment, je le fais comme je le sens. Tous les contes sont des adaptations d'adaptations d'adaptations. donc faire une adaptation de plus ne me pose pas de problème.

J'ai mis ça dans un univers asiatique fantasy. j'ai gardé la trame du conte, et j'ai brodé comme j'avais envie.

Notamment la présentation des personnages, qui prenait la moitié d'une phrase. Moi j'en ai fait la moitié de l'album, parce que je trouvais que le lecteur connaisse les personnages, avant de pouvoir trouver un intérêt à suivre leur aventure. C'était vraiment important à mes yeux.

Comment as-tu travaillé ton récit ? As-tu écrit toute l'histoire avant de te mettre au dessin ?

J'avais le conte de base, j'ai écrit un synopsis, un résumé du livre assez détaillé, et à partir de ça j'ai fait un séquencier. Là je travaille scène par scène. Ça me permet d'établir la pagination, puis je commence le storyboard et le dessin. Donc une fois que j'ai le séquencier, je sais déjà tout l'album. Après c'est vrai que j'ai un peu tendance à rajouter des pages, mais je me suis quand même limitée.

Dans les contes, les personnages féminins, même quand elles sont les héroïnes, ont souvent un rôle de victime et n'agissent pas beaucoup. Dans les scènes que tu as rajouté, tu contrebalances vraiment ça. Était-ce une volonté, ou est-ce que ça s'est imposé dans l'écriture ?

J'avais le choix entre deux fins. Respecter la fin classique du conte, ou la version que j'ai choisie, qui me semblait plus fun et intéressante, parce qu'elle partait un peu en contrepied de ce qu'on a l'habitude de voir dans les contes.

As-tu effectué un gros travail de documentation ?

En ce qui concerne le conte, je me suis arrêtée au texte pur. Je voulais garder une certaine distance pour pouvoir être libre au niveau de l'adaptation.

Pour les décors, les vêtements etc, c'est inspiré de la Corée pour les costumes, la Mongolie pour les bijoux, et les villages plutôt le nord de la Chine. Ce sont des choses que j'avais l'habitude de regarder depuis longtemps, puisque ça fait plusieurs années que je voulais faire ça. Donc j'avais pas mal de choses. Mais après je prends plusieurs éléments qui me plaisent, et je fais ma tambouille pour faire un monde différent.

Quelles ont été tes principales influences pour ce titre ?

J'ai un style vraiment manga. Mon auteur préféré au niveau narration c'est Mitsumo Adachi (Touch, H2). Mais plus globalement c'est l'ambiance asiatique en général, sans oeuvre en particulier, j'ai juste fait ce que j'avais envie.

Quels sont les avantages du webcomics ?

Alors, si j'ai fait un webcomics, c'était dans l'esprit de la prépublication.

Avant, en bande dessinée, les albums étaient prépubliés dans des magazines. Malheureusement aujourd'hui presque tous les magazines sont morts, et il n'y a plus du tout ce côté populaire. Il n'y a plus que les albums, qui coûtent un certain prix, notamment pour un lectorat plus jeune. Harfang c'est plutôt ado. 

Je voulais avoir le retour direct des lecteurs, et que le lectorat ait une vraie facilité d'accès. Tout en sachant que dès le départ, je l'ai fait pour le publier ensuite en livre en couleurs.

Harfang était d'abord un projet prévu en auto-édition, c'est d'ailleurs ce que tu fais pour la version anglaise. Pourquoi avais-tu choisi l'auto-édition, et qu'est ce qui t'a fait changer d'avis ?

D'habitude je fais plutôt des sketchbook en auto-édition. Des petits dessins, des step-by-step. je n'ai pas l'occasion de les publier avec un éditeur. Et comme j'ai commencé par le fanzine, je me suis dit autant le faire moi-même.

Maintenant, tout ce qui est impression est beaucoup plus facile d'accès comparé à il y a quelques années où c'était l'enfer. 

Quand j'ai fait l'adaptation du petit conte coréen, je crois que j'étais en chomage technique sur un album, et du coup j'avais le temps avant la Japan Expo. Je voulais vraiment faire de la bd, donc je me suis dit que j'allais la publier pour le salon.

J'avais tellement apprécié ça que j'ai eu envie de continuer avec Harfang

Ensuite, j'ai été contacté par un directeur de collection chez Delcourt, pour le publier en français. C'est vrai que l'avantage a été de ne pas avoir à m'occuper de l'impression, de la diffusion, de la vente sur le sol français. Ça m'a évité de passer du temps sur tout ce qui était manutention.

Par contre je voulais garder les droits pour le faire en international. Les éditeurs s'en servent rarement, et de mon côté je voulais le publier en anglais.

Et comme tu l'avais pensé comme un projet totalement personnel, est-ce que ça a été compliqué de le réadapter aux normes de l'éditeur ?

Non, franchement les pages que j'ai publiées sont quasiment celles que j'ai faite. J'ai beaucoup apprécié le travail qui a été fait par le directeur de publication. Il l'a lu, on a discuté de certains points du scénario. Pour lui certaines pages étaient un peu rapides. Notamment la page où je raconte la légende de la sorcière, lui il voyait ça en trois pages. Moi je ne voulais pas trop m'étaler, parce qu'en fait j'aimerais faire une histoire à côté. Donc d'une page on est passé à deux. Ce genre de petits détails, mais qui n'ont rien changé au fond de l'histoire.

Je n'ai jamais vécu le cas où un éditeur dénature mon travail, pas du tout.

Après, c'est vrai qu'au départ je l'avais dessiné pour un petit format, j'avais fait mes planches en A4, et l'éditeur voulait un format beaucoup plus grand que celui que j'avais prévu. En général, tous les dessinateurs dessinent en plus grand, pour réduire. Ça affine le trait. Là c'était quasiment la page telle quelle, et je trouvais ça trop brouillon, le dessin est assez rough sur Harfang. Mais il trouvait qu'au contraire, ça donnait du charme. On a fait plusieurs changements de formast, on a fait des essais, et finalement je n'ai pas de regret que le livre soit publié en plus grand, parce qu'il est vraiment beau.

La situation dans le milieu dans la bd en ce moment n'est pas très rose. Penses-tu que l'auto-édition est une solution d'avenir ? Que des auteurs vont y venir, qu'il y a des choses à créer dans ce domaine... ?

L'auto-publication, c'est un autre métier. Quand on en fait, il faut bien comprendre qu'il y a le métier de dessinateur, celui de maquettiste. Celui de scénariste si on fait le scénario. Il y a les contacts avec l'imprimerie, la gestion des couleurs, le côté technique du livre, le papier... C'est une quantité de travail supplémentaire.

Après il faut faire les commandes, faire une boutique en ligne, s'occuper de la VPC...

Il y a des gens qui vont aimer ça, et d'autres qui n'auront pas du tout envie de le faire. Et je les comprends parce qu'il y a des trucs très sympas à faire, mais d'autres très rébarbatifs aussi.

Comme j'ai commencé en faisant du fanzine, j'ai toujours connu ça, avant d'être publié chez un éditeur. Pour moi c'est tellement naturel que j'aime ça, ça ne me dérange pas, mais ça peut ne pas plaire à tout le monde.

Ensuite est-ce que c'est une solution d'avenir ? Pas pour tout le monde, forcément. Je pense que dans le métier d'éditeur est vraiment intéressant quand le travail éditorial est bien fait.

Un éditeur s'occupe du côté éditorial, du marketing etc. Après je crois que c'est plus ça. Est-ce que l'éditeur à notre époque fait son travail ou pas ? Et s'il ne fait pas son travail, est-ce que ça n'est pas intéressant de le supprimer de la chaîne ? Lui, le diffuseur...

Il y a des avantages et des inconvénients d'un côté et de l'autre. Je pense que ça dépend vraiment des personnes, de ce qu'on attend de l'éditeur. Si on ne veut faire que du dessin, si on veut faire autre chose, et du temps qu'on veut sacrifier pour faire ça.

Moi ça me plait énormément de faire les deux, je me verrais mal ne faire que de l'auto-publication, ou de l'éditorial pur. Peut-être en effet qu'à l'avenir, il y aura plus d'auteurs qui vont faire un peu des deux.

Pour conclure, quel a été ton dernier coup de coeur en bd ou en manga ?

Le dernier manga que j'ai lu, c'est l'adaptation en manga d'un roman japonais qui est aussi sorti en film, Edge of Tomorrow. Et sinon je suis en train de lire Mix, d'Adachi, et avec lui c'est toujours un coup de cœur.

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