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par Elsa - le 17/11/2014
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par Elsa - le 17/11/2014

Quai des Bulles 2014, l'interview de Fumio Obata (Un thé pour Yumiko)

Un thé pour Yumiko, de Fumio Obata, est assurément l'une des bandes dessinées les plus sensibles et délicates de l'année. Entre deuil et quête identitaire, cette bande dessinée évoque avec beaucoup de poésie la difficulté de savoir qui l'on est vraiment quand culture et aspirations s'opposent violemment.

Fumio Obata était présent au festival Quai des Bulles et a répondu à nos questions.

Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

J'ai quitté le Japon en 1991, et suis venu en Grande Bretagne où je vis depuis. 

Au fond, même si la Grande Bretagne m'a beaucoup changé, je suis toujours japonais. Mais je ne me vois pas retourner là-bas, notamment parce que je pense que je n'y trouverais pas de travail. Comme artiste, c'est trop risqué. Ce qu'ils lisent est très différent de ce que je veux raconter.

Comment pourriez-vous résumer Un thé pour Yumiko ?

Résumer ?... ok. C'est un livre sur une différence de culture, au moment d'un décès. C'est aussi une histoire vue à travers la perspective d'une femme, parce que j'ai rencontré beaucoup de femmes d'origines asiatiques en Angleterre, qui ont quitté leur pays. Elles m'ont fascinées, parce que leurs raisons sont très différentes des miennes. Ce livre est à propos d'elles.

Les femmes asiatiques qui quittent leur pays le font afin d'essayer de se créer une vie meilleure, pour elles-même. Mais il y a un conflit, forcément. Parce qu'elles ne peuvent pas se débarasser de leur identité.

Cette bande dessinée est vraiment sur l'identité des femmes, et les différences culturelles entre les pays.

Le personnage de Fumiko est-il aussi inspiré par votre propre parcours, ou uniquement par ces femmes qui vous ont parlé de leur vécu et de leur ressenti ?

Les émotions du personnage pour gérer la mort de son père, c'est vraiment moi. C'est inspiré de ma propre expérience. Mais les autres choses sont un mix des histoires, des sentiments que j'ai entendu de mes amies.

Je ne saurais dire le pourcentage, mais c'est un mélange. Pas entièrement moi, mais il y a de ma propre expérience forcément.

Comment avez-vous travaillé l'écriture de cette histoire ?

Chapitre par chapitre. Cette histoire ne résout rien, c'est à propos des émotions. Mais il fallait quand même que je trouve comment terminer le récit. Pour parvenir à cette fin, ça a vraiment été difficile. Pas tant dans les images, que dans les dialogues, l'état d'esprit des personnages.

J'ai fait énormément d'essais, en avançant petit à petit.

Pensez-vous que la situation en Asie est toujours équivalente, obligeant les femmes à partir pour les mêmes raisons ?

Oui. En Asie les femmes sont toujours amenées à abandonner leurs carrières quand elles se marient et ont des enfants. Il est encore attendu d'elles qu'elles démissionnent et restent à la maison.

Forcément, ça change. Très récemment, le gouvernement japonais a annoncé qu'il y allait avoir plus de femmes en politique, et qu'un cabinet allait promouvoir le travail des femmes dans la société japonaise. Parce que c'est important, et ils devaient le dire.

Le Japon n'a pas une culture très protestataire. Et même en Asie en général, les mouvements féministes sont vraiment très calmes, ils ne vont pas s'élever pour protester.

Les choses changent parce que la population infantile est en chute libre. De plus en plus de femmes choisissent leurs carrière plutôt que de faire des enfants, parce qu'ellles connaissent les conséquences de leurs choix. Et ça n'est pas bon. La société doit accepter qu'elles ont le droit de faire les deux en même temps. En Europe, ces changements ont eu lieu il y a des années.

Un thé pour Yumiko parle d'une femme entre deux cultures, mais aussi du deuil. Etait-ce difficile de parler de quelque chose d'aussi intime que la perte d'un proche ?

Non ça ne l'était pas. C'était la part la plus dramatique du récit et je trouve que les choses les plus dramatiques, les plus choquantes, sont... je ne dirais pas amusantes, mais ce sont celles qui m'inspirent le plus. Je ne sais pas pour les autres auteurs, mais pour moi, je ne sais pas... Cela sonne comme de la tristesse, mais l'héroïne essaie de se sortir ça. C'est vraiment inspirant. 

Au final c'est une des choses que j'ai le plus apprécié de développer.

Dans cette bd, il y a un mix entre des influences européennes et asiatiques dans le dessin.

Oh, je suis content que vous ayez vu ça.

Ce sont les deux cultures de Yumiko, vos deux cultures. Ce mélange était-il spontané, ou est-ce quelque chose que vous avez voulu développer dans votre dessin ?

Ce mélange, oui absolument. Je suis toujours sous l'influence des mangas. C'est un large sujet... Je sais comment ont été fait les bandes dessinées asiatiques, les mangas que j'aime. Cela fait partie de mon héritage en tant qu'artiste. Tout vient de là.

J'essaie d'incorporer ça à mes influences plus récentes.

Quels outils utilisez-vous sur cette bande dessinée ?

Le rendu final est très coloré, mais en réalité les pages originales sont juste en sépia ou en niveaux de gris. Je fais ça à l'aquarelle, puis après avoir scanné les planches, je change les couleurs en numérique. Parce que je ne suis pas certain des couleurs que je vais utiliser, donc je me laisse plus d'options pour la colorisation.

Le dessin est fait à la main. Si je savais quelles couleurs utiliser, je n'aurais pas eu besoin de l'ordinateur pour cette bande dessinée.

Yumiko est à la recherche de l'endroit qui est vraiment 'chez elle'. A vos yeux, quelle est la véritable définition de 'chez soi' ?

Je ne sais pas. Je suis à la recherche de cette réponse. Je veux dire, je suis japonais forcément...

C'est un exemple très trivial, mais quand il y a des matchs de football internationaux, on supporte son pays. Alors je supporte mon pays, mais en même temps je n'aime pas ça.  Il y a des conflits politiques, une Histoire... C'est intéressant mais je n'arrive pas à m'associer à tout ça, à cette perspective.

Ce sentiment est quelque chose de puissant, et je n'arrive plus vraiment à m'associer au Japon. Dans le futur, j'aimerais être capable de ne plus écrire des histoires liées au Japon. 

Je veux faire autre chose... Je crois être capable de le faire, faire plus que juste parler du Japon. Ça n'est pas tout ce qui compose mon identité...

Pour répondre à votre question, j'essaie de ne pas y penser. Un thé pour Yumiko est vraiment sur ce sujet, mais la réponse n'a plus vraiment de signification à cause de tout ça... Alors trouver où est 'chez soi' compte de moins en moins, à mes yeux.

Quelles sont vos principales influences ?

J'aime les réalisateurs de films. Krzysztof Kieslowski, qui a notamment réalisé Three colours. Ses films m'ont énormément influencé.

La littérature aussi, les romans, m'inspirent pour écrire mes histoires.  Concernant la bd, beaucoup d'artistes français. Je suis très curieux de nature, et je prends mes influences de beaucoup de personnes différentes.  Si je dois être plus précis, les auteurs de L'Association m'influencent beaucoup, notamment Aristophane (Les contes démoniaques).

Peu d'influences japonaise, finalement. Elles étaient déjà en moi.

Quels sont vos prochains projets ?

... C'est encore à propos du Japon. C'est à propos de Fukushima, après le tsunami. C'est un reportage. je suis retourné au Japon cinq fois depuis ce qui est arrivé, donc j'ai suivi l'évolution...

C'est compliqué, parce que c'est une approche très différente d'Un thé pour Yumiko, qui était à propos d'émotion. Là c'est vraiment un documentaire.

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