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par LiseF - le 20/09/2018
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par LiseF - le 20/09/2018

Retour sur L'Âge d'Or avec Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil

Crédits photo : Chloé Vollmer-Lo

Le jour de la sortie de L'Âge d'Or chez Dupuis, j'ai eu l'occasion de rencontrer ses auteurs Roxanne Moreil et Cyril Pedrosa. J'avais demandé cette interview dès l'annonce de l'oeuvre par l'éditeur, parce que j'étais persuadée que ce serait passionnant. Et ça n'a pas loupé, puisque nous avons attribué un 10 sur 10 à l'album. Et enfin, je trouve le temps de retranscrire ce très intéressant entretien, où les deux auteurs me parlent de leur méthode de travail mais aussi d'un ras-le-bol vis-à-vis de la politique actuelle, qui leur a donné l'idée de L'Âge d'Or.

Un projet de longue haleine

Quand je leur demande depuis combien de temps ils travaillent sur l'album, les deux auteurs m'annoncent, sans surprise, que c'est plus une question d'années que de mois. Rien que le scénario (qui a eu droit à seize versions différentes) a pris un an, et le dessin, le double comme me l'explique Cyril Pedrosa.

"Dessiner l’album m'a pris deux années. Au départ j’avais dessiné une première trentaine des pages et on s’est dit que ça suffisait pas, on voulait revenir vers une imagerie médiévale, avec de la féérie… et puis le temps de dessiner les 224 pages, j’y ai passé deux ans."

Ce qui a pris du temps, c'est aussi cette mise en couleurs très spécifique : le traits sont rarement noirs. Certaines scènes sont par exemple noires avec des contours jaunes. C'est beau mais naturellement, ça prend plus de temps. Vers la fin, l'artiste avait deux personnes pour l'assister au dessin.

Si Cyril Pedrosa est au dessin, il a aussi co-scénarisé l'oeuvre avec Roxanne Moreil. Tout au long de ma lecture, je me suis demandée qui avait fait quoi au scénario. Quand je leur pose la question, les auteurs ont bien du mal à me répondre : en fait, ils ont construit l'histoire à deux au fil des discussions. Pour Pedrosa, le passage dans un monde plus fantastique a été un déclic :

"C’est le moment le plus difficile au tout début, trouver le style, poser des jalons. Et là justement au bout de trente pages, il y a eu un changement de direction. Il manquait de la bizarrerie, une étrangeté. Le cadre c'est le moyen-âge, mais c’est aussi un peu féérique."

Quand je demande à Roxanne Moreil si elle a intervenu au storyboard, elle m'explique que non : en fait, la phase de storyboard est très rapide pour Cyril Pedrosa et bon courage à qui souhaiterait les décoder ! L'auteur m'en montre un, en m'expliquant qu'il se contente de les crayonner dans son carnet.

Pourtant, le découpage des cases s'est là encore fait en duo : l'idée géniale de répéter un même personnage dans une case pour créer un effet de mouvement vient de Roxanne Moreil. Si scénaristiquement, l'idée sert complétement l'action, le principe est à la base pratique. Sans ça, la BD aurait été encore plus massive. Répéter un personnage dans une case, ça permettait de diminuer le nombre de pages ! 

La question de la masse de travail, elle s'est beaucoup posée lors de la conception de L'Âge d'Or. Si les auteurs ne pouvaient pas se permettre de pondre un premier tome de 600 pages, ils devaient quand même laisser le temps aux lecteurs de découvrir les personnages. Roxanne Moreil m'explique :

"C’est assez frustrant parce qu’une BD se lit très vite. Faire passer les émotions dans un 250 pages c’est déjà compliqué et si tu morcelles encore plus, tu pourras pas tout faire passer. On a deux personnages qui font du chemin : Tilda elle s’assombrit au fur et à mesure, il faut du temps pour ça ! Bertil il a des certitudes au début, et puis il a des moments de doutes intellectuels."

Une BD politique

Le doute intellectuel, l'évolution de la réflexion : on la ressent profondément dans L'Âge d'Or, qui n'est pas juste une BD palpitante, mais aussi intelligente. Quand je leur demande d'où leur est venu l'idée de ce récit, ils m'expliquent que le but était double.

"Il y avait deux projets. Faire un récit d’aventures haletant, et à la fois parler de l’utopie en politique. À force de vouloir en rajouter sur les moments de tension, les cavalcades, on perdait un peu sur le message. Et là c’était bien d’être à deux pour réfléchir... Et inversement si on met trop d’utopie politique, ça fait une ventre mou dans l’histoire."

L'Âge d'Or, une BD politique ? Sans aucun doute ! Cette idée de parler d'utopie ne vient pas de nulle part : lors de la conception de l'histoire, les auteurs sont fatigués du climat politique actuelle, et ont envie de faire passer un message. Le village de femmes que rencontrent Tilda et sa bande est d'ailleurs un peu une ZAD version médiévale.

"À ce moment-là on arrêtait pas de parler de politique, on était un peu déprimés par l’atmosphère ambiante, et on réfléchissait à comment créer une société nouvelle sans que tout le monde se moque de nous. Parler de politique en utilisant la fable, ça marchait super bien. Il y avait une espèce d’évidence !"

Quand ils me parlent du message de la BD, ils sont intarissables. Pour eux, le but n'est pas de montrer combien les choses vont mal maintenant. Mais plutôt de montrer ce qui est possible, demain. Roxanne Moreil développe à propos du message d'espoir :

"Dans ce livre on raconte que l’espoir est possible. On peut être désabusé, inquiet, déprimé, mais au fond on a le droit d’espérer. Quand on a commencé à écrire ce livre on avait l’impression que c’était même plus possible. Avec toutes ces questions écologiques, ça continue à s’aggraver donc on a besoin de cette fiction." 

Petit point contexte : une semaine avant l'interview, Nicolas Hulot annoncait qu'il quittait le gouvernement. Cyril Pedrosa ajoute :

"On essaie de dire aussi que ce qui adviendra est assez inimaginable. Ceux qui nous disent que rien ne changera, ils ont tort ! C’est pour ça qu’on a choisi un contexte médiéval. Le paysan il pense que rien ne changera jamais, mais c’est faux ! Ce qui adviendra on ne le sait pas, mais dans ce qui adviendra le meilleur est possible."

Une BD féministe, aussi

Pour Cyril Pedrosa, l'équité va avec l'égalité hommes-femmes. Dans l'album, les paysans commencent à réclamer l'égalité avec les seigneurs, refusant de continuer à travailler pour des clopinettes. Dans le village où Tilda trouve refuge, les femmes ont déjà mis en place ce fonctionnement. Elles sont toutes égales, il n'y a pas de chef. En ce sens, j'ai trouvé que l'album portait un message fort, et je me suis demandée si Roxanne Moreil en tant que femme avait façonné ce message.

En fait, elle a participé à la conception de l'expo sur les femmes dans la BD à la Maison Fumetti à Nantes. À cette occasion, elle s'est posée la question de la représentation des femmes en bande dessinée.

"On avait fait ce constat en lisant énormément de bandes dessinées : c’était Barballella hyper sexy, ou Olive dans Popeye, le second couteau, faire valoir du personnage masculin. Je me disais qu’il faudrait imaginer un personnage féminin complexe, pas forcément hyper sympa, pas hyper sexualisé… Et puis il y avait cette envie de jouer avec les stéréotypes du lecteur. Il voit cette princesse au début, elle est naïve, donc il se dit qu'elle est forcément bonne."

Par la suite, on va vite réaliser que Tilda est loin d'être douce et gentille envers son prochain. Et c'est là qu'elle est intéressante : c'est un personnage crédible, avec des failles. Cyril Pedrosa a déjà mis en scène des personnages féminins, mais jamais en personnage principal. Il explique pourquoi le point de vue de Roxanne Moreil a été indispensable :

"En tant qu'homme il y a des choses parfois qui m’échappent, que je ne perçois pas. Sur les questions féministes, un homme ne perçoit pas les choses de la même manière qu’une femme. Je ne suis pas vu comme une femme dans la rue, par exemple."

Si le premier tome de ce diptyque est déjà un vrai bonheur à lire, on se demande forcément quand arrivera la suite. Les auteurs m'expliquent que le scénario est terminé, et que Pedrosa est en train de dessiner la page 18. Si tout va bien, le prochain album devrait arriver... En mars 2020 ! Brace yourself : l'artiste m'a expliqué que le second tome devrait être encore plus dur à dessiner, avec de grandes scènes de batailles.

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