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par Elsa - le 16/04/2015
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par Elsa - le 16/04/2015

Salon du Livre 2015, l'interview de Séverine Gauthier

Séverine Gauthier est une scénariste qui, de jolie bande dessinée en jolie bande dessinée, nous a peu à peu ouvert les portes de son univers plein de délicatesse et de poésie.

Hasard du calendrier, ses deux dernières bandes dessinées, Haïda l'immortelle baleine et L'Homme Montagne sont sorties toutes les deux pour le dernier Salon du Livre de Paris, dans la collection jeunesse de l'éditeur Delcourt, qui compte déjà plusieurs de ses histoires.

Elle a répondu à nos questions, et évoque avec nous son travail d'auteure, de ses inspirations à ses relations avec les dessinateurs avec qui elle travaille.

Peux-tu nous raconter ton parcours ?

J'ai deux métiers en parallèle. Je suis auteure-scénariste, et j'enseigne la civilisation américaine à l'université. J'ai fait des études très longues, que j'ai finies en 2010 avec ma thèse. Je suis spécialisée dans les cultures amérindiennes, ce qui explique certains de mes bouquins.

Dans l'écriture je n'ai 'rien' comme parcours. Depuis que je suis petite j'écris des fables, des histoires. Je lis énormément, j'ai toujours fait des livres, je les fabriquais, les reliais avec de la laine, dessinais des couvertures...

Quand j'avais une dizaine d'années je faisais des bd. Au début je dessinais beaucoup, puis j'ai arrêté parce que je préférais écrire.

C'est venu comme ça, je n'ai jamais arrêté. Jusqu'au jour où j'ai eu suffisamment... je ne dirais pas confiance parce que j'ai encore quelques doutes, mais j'ai eu envie de présenter mes histoires. J'écrivais des choses que j'avais envie de présenter à des éditeurs.

Un jour ça s'est fait. La première histoire vraiment personnelle que j'ai eu envie de présenter c'était Mon Arbre, qui est paru chez Delcourt Jeunesse. J'ai eu la chance qu'elle plaise à l'éditeur à qui je l'ai présenté, et j'ai commencé comme ça. 

Et j'ai pu voir que je pouvais faire les livres que je voulais. parce qu'avant j'avais fait quelques boulots de commandes, d'adaptations de dessin animé... des choses pas très exaltantes dans l'écriture qui m'avaient fait comprendre que je ne voulais pas faire ça et que je voulais vraiment réussir à éditer mes histoires personnelles.

Est-ce qu'il y a un schéma dans la naissance des idées de tes livres ?

Haïda, l'immortelle baleine

C'est super dur de répondre à ça, parce qu'en fait je ne sais pas.

Comme beaucoup de gens qui écrivent des histoires, qui dessinent, je n'arrête jamais d'y penser. C'est perpétuel et ça n'est pas conscient. Je ne me dis pas 'je vais inventer une histoire sur ce thème-là.' Parce que quand je fais ça je n'arrive à rien. On ne peut pas me commander une histoire par exemple, ça ne fonctionne jamais.

Donc le processus de naissance d'une idée je ne sais pas. Des fois ça me réveille au milieu de la nuit, quand je roule en voiture... Par contre une fois que l'idée est là, que je sens venir un bout d'histoire, je vais commencer à noter plein de choses dans tous les sens, et après je construis avec ça. Ça commence par des bouts de dialogue, des bouts de texte qui font que j'ai envie de construire une histoire autour.

Est-ce que tu écris avant de choisir un dessinateur ?

Pour l'instant oui. Les livres que je fais chez Delcourt Jeunesse sont particuliers, ce sont des histoires très personnelles. Je mets beaucoup de moi dedans, et ils sont différents selon les moments. Et j'ai besoin de trouver un dessinateur avec qui ça va vraiment coller. Je cherche un trait qui me touche, qui soit sensible. Qu'il dégage la sensibilité, l'émotion qu'il faut pour une histoire. C'est comme ça que ça se fait.

Les auteurs avec qui j'ai travaillé sur ces textes-là, ce sont des auteurs dont je suis finalement devenue plutôt proche.

Le premier, Thomas Labourot, c'est mon mari. Je lui ai confié ces histoires-là parce qu'il a voulu les dessiner quand il les a lues. C'est Mon Arbre et Garance. Et on se connait tellement bien que ça allait de soit. Dès qu'il lit quelque chose que j'écris, il sait ce que j'ai envie de mettre derrière.

Pour Jérémie Almanza, c'est différent. j'écrivais de la poésie, je voulais essayer de faire des livres en poésie. Et je cherchais un trait, une sensibilité qui dégage ce qu'il fallait. J'ai vu ses dessins sur internet, je lui avais envoyé un message sans savoir qui il était, ni rien. C'était avant que Mon Arbre soit publié, ils sont sortis en même temps.

Je lui ai envoyé un petit résumé, et puis trois-quatre vers que j'avais écrit d'Aristide, ça lui a plu. Il n'avait jamais publié de livres non plus, et ne savait pas s'il allait se lancer dans le dessin, il a fait de grandes études aussi. On s'est rencontré. On a eu un coup de foudre artistique. On se ressemble vraiment, moi dans l'écriture et lui dans le dessin, et on a eu envie de faire ça.

J'ai besoin de trouver des collaborations où les projets se font vraiment à deux. Même si j'amène l'histoire, j'aime que les dessinateurs se l'approprient et puissent proposer des choses dans mon histoire.

C'est ce qui s'est passé avec Amélie Fléchais sur L'Homme Montagne. J'avais l'histoire en amont, je connaissais son dessin sans la connaitre, et il se trouve que c'était une amie de Jérémie et je ne le savais pas. On s'est rencontrées comme ça, il y a plus de deux ans et demi. L'histoire lui a plu, mais elle avait d'autres livres sur lesquels elle était engagée (Chemin Perdu et Le Petit Loup Rouge), donc on s'est attendues.

Ce que j'écris en amont, c'est un synopsis , et peut-être quelques dialogues. Pour L'Homme Montagne, j'avais écris le premier dialogue entre l'enfant et le grand-père, pour donner une idée du ton, et de ce que j'ai envie que l'écriture dégage.

Amélie a apporté des idées dans le découpage, pour changer un peu la façon de l'aborder, me disait quand elle trouvait une transition trop abrupte... des petites choses comme ça. C'est un échange constant qui fait que ça devient vraiment notre livre à deux.

Même si tes histoires sont souvent inscrites dans des univers imaginaires, effectues-tu un gros travail de documentation ?

L'Homme Montagne

Non, tout ça c'est vraiment purement des histoires.

La seule qui est documentée c'est Haïda, qui est sortie en même temps que L'Homme Montagne, parce que c'est un projet différent, basé sur des cultures amérindiennes. Dans ce projet j'allie vraiment mes deux passions : pour ces cultures, et pour l'art visuel et la bande dessinée en particulier.

Pour L'Homme Montagne, c'est juste une histoire, ça n'a pas d'autre ambition ou d'autre prétention que de raconter une histoire. Ça n'a pas besoin d'être documenté, ce n'est pas un récit historique, pas un polar... Ça s'invente presque tout seul.

Après on cherche des références visuelles, mais c'est plutôt Amélie qui avait ses références, des influences.

Pourquoi avoir choisi la bande dessinée comme médium ?

Je ne sais pas. J'en ai toujours lu, et j'ai une imagination très visuelle.

Quand j'imagine une histoire, son découpage, je la vois bouger dans ma tête, comme un petit film animé. Je dessinais beaucoup jusque 15-16 ans. Et j'ai toujours lu de la bande dessinée, c'est un mode de narration que j'aime. Ça allie l'art graphique avec l'écriture.

Il y a des contraintes d'écriture, mais j'aime bien jouer avec ces contraintes, faire des mélanges. Proposer une bd qui soit racontée en poésie, faire des livres qui soient à mi-chemin entre le livre d'illustration et la bande dessinée. M'amuser avec ces codes. 

J'ai besoin du côté visuel, c'est vraiment un bonheur pour moi de voir les personnages prendre vie graphiquement. Et pour l'instant c'est un mode de narration qui me convient tout à fait. J'ai essayé d'écrire autrement, ça revient toujours à de la bande dessinée. J'avais des idées que je voulais développer en roman, et en fait je m'ennuie dans l'écriture. 

Est-ce particulier d'écrire pour la jeunesse ?

Garance

Je n'ai pas l'impression d'écrire 'pour la jeunesse'

C'est vrai, mais Delcourt te publie dans sa collection Jeunesse...

C'est vrai que quand je présente un livre chez Delcourt, je le présente toujours à la personne qui a aimé mes histoires au début, qui continue de les aimer, et il s'occupe de la collection jeunesse.

Et ça me correspond tout à fait, parce que pour moi, un livre estampillé 'jeunesse', ça veut dire qu'on peut commencer à le lire quand on est enfant. Je lis moi-même énormément de livres jeunesse, seule ou avec ma fille. Pour moi 'jeunesse', ça veut dire qu'on peut commencer à le lire à partir de 6-7 ans, mais il n'y a pas de limite d'âge.

Après je sais bien que ça limite le public, parce qu'il y a des gens qui pensent encore que si c'est estampillé jeunesse, alors ça ne va pas leur plaire, ils ne trouveront rien qui les intéressent dedans.

Mais je ne me pose pas du tout la question au moment où je fais une histoire, je fais juste l'histoire que j'ai envie de faire. 

Et puis il y a plusieurs niveaux de lectures...

J'essaie de faire ça... Je l'ai fait une seule fois vraiment consciemment sur un livre, un album qui s'appelle Garance, avec une histoire pour les enfants au pied de la lettre, et une histoire plus adulte derrière. Ça a été un vrai exercice, et on le ressent.

En donnant des interventions scolaires, les enfants prennent vraiment l'histoire au premier degré, et quand on voit des adultes sur les salons, il y en a qui nous disent qu'ils ont été très touchés par l'histoire racontée derrière, que eux peuvent lire.

Mais c'est vrai que dans L'Homme Montagne, dans Coeur de Pierre, il y a des choses que liront plutôt les adultes.

Quels sont les auteurs qui t'ont influencée ?

Coeur de pierre

J'aime la poésie en général, je suis très fan de Guillaume Apollinaire. J'aime aussi beaucoup la poésie de Victor Hugo, pour être vraiment dans les classiques.

Après j'ai écrit des poésies narratives comme Coeur de Pierre ou Aristide broie du noir en étant influencée par des auteurs anglo-saxons. 

Étant petite, j'ai été touchée par l'écriture de Roald Dahl. J'aime beaucoup sa poésie, qui est narrative. C'est une poésie qui raconte une histoire, et qui en même temps est touchante, drôle, pleine d'esprit. Ça m'a toujours fascinée. Mais c'est fait avec la langue anglaise, et un rythme particulier.

Sinon j'aime beaucoup Shel Silverstein, qui est un poète. Il a écrit des chansons mais aussi des recueils de poésie pour enfants. Ce sont des classiques aux Etats-Unis mais on le connait moins en France. Là encore, c'est une poésie qui raconte une histoire, pleine de jeux sur la langue, c'est drôle et fin.

J'avais envie d'écrire comme ça, sauf que je me demandais si ça pourrait marcher avec le rythme de la langue française, avec le classicisme de la poésie française. J'avais envie de faire un travail sur le rythme.

J'ai commencé avec Aristide broie du noir. Il fallait que j'arrive à faire un truc qui me plaise, et finalement je me suis prise au jeu, j'ai beaucoup aimé écrire comme ça, créer un rythme. Je me suis dit que je ne trouverai jamais un éditeur pour publier ça, et puis finalement ça a marché.

La grosse influence, c'est vraiment Roald Dahl, dans l'écriture. C'est quelqu'un qui m'a touchée quand j'étais enfant, et mes premières émotions de lecture sont toujours là, j'aime toujours autant ses livres.

Et puis un auteur brésilien, José Mauro de Vasconcelos, qui a écrit Mon bel oranger.

Ma première histoire s'en ressent. Ça a été ma première vraie grosse émotion de lecture. J'ai pleuré comme une madeleine en le lisant quand j'avais onze ans. J'ai toujours mon exemplaire de l'époque, qui est gribouillé, déchiré, et je le relis régulièrement. Et à chaque fois je pleure...

Pour moi, la littérature, sous toutes ces formes, c'est de l'émotion de lecture, c'est ce qui reste de mes lectures faites étant gamine. J'écris des histoires qui me touchent moi, en espérant qu'il y ait des gens qui comprennent et soient touchés aussi.

Tes actualités ce sont Haïda et L'Homme-Montagne, mais quels sont tes prochains projets ?

Le prochain qui sort c'est le tome 3 de ma série Virginia en juin. Là c'est pour adulte. Ça se passe pendant la guerre de Sécession et c'est une histoire sur le morphinisme, la dépendance à la morphine. C'est chez Casterman et ça sera la fin de l'histoire.

Et après je retravaille avec Thomas Labourot, avec qui j'ai fait mes premiers albums jeunesses. On change d'éditeur, on sera chez Rue de Sèvres. On travaille sur un projet qui s'appelle Aliénor Mandragore, qui est une série. On va pouvoir faire au moins trois bouquins, et on s'amuse vraiment beaucoup.

Ça sort en septembre, le premier album est fini en noir et blanc. Il reste les couleurs. Je m'amuse énormément sur le travail des dialogues.

C'est très très très librement inspiré des personnages de la légende arthurienne. Ça se passe dans la forêt de Brocéliande. Aliénor, c'est la fille de Merlin... On prend les personnages canoniques de la légende arthurienne pour s'amuser avec et faire quelque chose de fou.

Et je travaille avec Clément Lefèvre, qui a publié plusieurs choses, dont Susine et le Dorméveil. On travaille sur un gros projet ensemble qui s'appelle L'épouvantable peur d'Épiphanie Frayeur. On est sur 91 pages, on a du boulot. On n'a pas de date de sortie encore, ça sera chez Métamorphose.

Sinon, on travaille sur quelque chose avec Jérémie Almanza, et je suis aussi sur un deuxième Haïda.

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