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par Elsa - le 23/12/2013
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par Elsa - le 23/12/2013

Thomas Cadène (Romain et Augustin), l'interview

Feuilleton de l'été sur le site du Nouvel Observateur, Romain et Augustin est désormais édité format papier chez Delcourt. L'histoire de deux hommes qui s'aiment et qui décident de se marier, maintenant que la loi les y autorise. S'en suivent deux mois de préparatifs, où vient s'immiscer la violence du débat qui a fait rage en France. 

Ce titre un peu à part mêle donc légèreté et sérieux, simple histoire d'amour et regard sur notre société, et plus précisément sur cet élément de l'actualité qui a occupé toutes les conversations pendant de nombreuses semaines (et c'est loin d'être véritablement terminé). Romain et Augustin ne se place pas du tout comme un condensé du débat, et les personnages ont cette particularité d'être tous impliqués plus ou moins directement, puisqu'il s'agit là d'un membre de leur famille ou d'un ami qui aime et va épouser un autre homme.

Cette bande dessinée est pleine d'intelligence, d'humour, et d'émotion aussi par moment. Les avis se confrontent, et jamais les auteurs n'imposent leur propre subjectivité aux personnages. Certains dialogues sont d'une justesse marquante, et donnent envie de partager cette bd avec tout son entourage, tant ils contiennent les mots que l'on pense, mais que l'on n'aurait su dire nous-même.

Le récit, pensé en même temps pour la publication en ligne et celle en livre, s'articule autour des deux héros, entrecoupé d'intermèdes mettant en scène tout leur entourage, lui donnant une fenêtre pour s'y exprimer librement. Le dessin est signé Didier Garguilo et Joseph Falzon.

Le scénariste, Thomas Cadène, a répondu à nos questions et vous en dit plus sur Romain et Augustin.

Comment raconteriez-vous Romain et Augustin en quelques mots ?

C'est le moment dans une histoire d'amour où on se pose la question du mariage. Avec cette particularité qu'en ce qui concerne Romain et Augustin, c'est la première année que cette question peut se poser pour deux hommes qui s'aiment. Et donc qu'est ce que ça implique ? Est-ce que déjà ça va impliquer des particularités ?

Évidemment par le contexte, ça va provoquer quelques réactions, parce que c'est une forme de nouveauté. L'évènement en lui-même est d'une grande banalité pour la plupart des gens, mais en ce qui les concerne eux, c'est une nouvelle possibilité qui leur est offerte.

Et puis dans la bd on s'est attaché à illustrer ce contexte, et à rappeler aussi le caractère... je n'aime pas le mot banal mais c'est un petit peu ça, du mariage. Ou en tout cas le caractère classique de ce que le mariage implique.

Romain et Augustin a d'abord été publié sous la forme d'un feuilleton quotidien sur le site du Nouvel Observateur. Est-ce que vous aviez imaginé cette histoire sous ce format dès le départ ?

Oui, c'est un projet qui a été pensé parallèlement avec le Nouvel Observateur et les éditions Delcourt. Donc tout de suite, j'étais dans l'idée de faire un feuilleton. C'est un format que j'adore. C'était très cohérent. Il est presque né pour ça, il y avait ce côté feuilleton de l'été, une histoire d'amour... C'était important qu'il y ait une forme de légèreté.

Comment s'est passé votre travail d'écriture sur ce titre. Avez-vous d'abord écrit toute l'histoire, ou avanciez-vous au fur et à mesure que les dessinateurs avançaient sur les chapitres ?

En fait on a fait tout ça en même temps. Le projet s'est lancé en mai, l'écriture a commencé en juin, la publication en juillet. Je n'attendais pas que les dessinateurs aient fini, je maintenais mon avance, mais je voulais aussi rebondir sur l'actualité. Le dessin s'est terminé le matin-même du dernier jour de la publication, et l'écriture était terminée deux semaines avant. On était vraiment dans une écriture quasiment en temps réel.

Les deux dessinateurs avaient déjà participé à l'aventure Les autres gens.

Oui, ils savaient comment ça fonctionnait.

Qu'est-ce qui vous a donné l'idée de travailler avec deux dessinateurs sur une même histoire ?

C'est plutôt l'inverse. Avec Les autres gens, je travaillais avec un dessinateur par jour, on changeait tout le temps. Là, au contraire, je tenais vraiment à ce qu'on ait un livre cohérent dans sa forme. L'idée était presque d'avoir un seul dessinateur. Parce qu'on a une seule histoire, un début et une fin. On n'était pas du tout dans le même schéma que Les autres gens.

Mais il y avait une double contrainte. Celle du feuilleton, donc de la quotidienneté. Un seul dessinateur ne pouvait pas assurer pendant deux mois un épisode par jour. Et puis en même temps il y avait la contrainte de comment introduire dans cette histoire ce contexte, le retour sur le débat, l'aspect politique, religieux...

Et donc de ces deux contraintes, l'une d'écriture et l'autre de diffusion, on a fait un atout. On a introduit cette idée d'intermède assuré par un autre dessinateur, qui permet à Didier Garguilo de souffler pendant qu'il dessine, et qui me permet moi de libérer le récit du mariage, les préparatifs etc, de l'aspect contexte, politique, en l'abordant dans une sorte de récit parallèle qui est assuré par Joseph Falzon. Les deux dessins étant suffisamment différents pour se distinguer parfaitement dans le livre, et en même temps très complémentaires dans leur différence pour assurer ce balancement entre une approche et l'autre. C'était assez naturel en fait.

L'actualité autour du Mariage pour Tous a été très violente, ça n'est d'ailleurs pas terminé. Mais est-ce que ça n'a pas été par moment difficile de réagir à l'actualité, comme vous le disiez, mais sans réagir à chaud ?

Justement, la solution dans ce travail de fiction, c'est de faire parler des personnages. En les faisant parler, qu'ils soient favorables ou défavorables aux questions du mariage pour tous, on évite de trop parler de soi, et on s'intéresse à ce qu'eux on a dire. C'est l'énorme atout de la fiction. Ça permet de ne plus se poser la question de la distance, parce qu'elle s'impose par la voix de chacun.

Quand j'écris ce que pense la mère d'Augustin, qui est très opposée au mariage, je me mets dans sa tête. Donc je ne me pose plus la question d'où je suis par rapport au débat, de ce que je pense. J'essaie de comprendre ce qu'elle pense elle, de la faire parler.

Pareil pour ceux qui sont favorables, mais qui sont des parents, des cousins etc. Les niveaux d'implications sont divers et peuvent contextualiser. Rappeler par exemple, avec la grand-mère, que c'est un combat qui vient après d'autres combats. Ou comme le père, ou la compagne de Dimitri, que c'est un combat qui s'inscrit dans un cadre beaucoup plus large.

À partir du moment où on a des personnages un peu solides, forts d'un point de vue qui leur est propre, la question de ce que moi je pense n'intervient plus qu'en terme d'équilibre, de construction du récit. Le discours en lui-même est celui des personnages, ce qui m'aide à prendre du recul. Je suis derrière eux.

Les personnages gardent eux, finalement, une forme de distance. Notre regard d'auteur, dans cette bd, arrive après celui des personnages.

Il y a ces nombreux personnages, vous traitez leurs opinions sans jamais imposer votre subjectivité dessus. Mais comment s'est passé votre travail là-dessus ? Est-ce que ce sont simplement vos réflexions personnelles, avez-vous beaucoup discuté avec votre entourage, vous êtes vous basé sur les débats.... pour créer ces opinions ?

Je ne sais pas comment j'ai fait. Au départ j'avais des personnages qui étaient suffisamment solides. Par exemple, les membres de la famille de Romain, pré-existaient à l'histoire (ils étaient déjà dans la série Les autres gens). Il suffisait que je me mette dans leurs chaussures pour comprendre comment ils allaient recevoir tout ça. Pour les personnages pour qui ça n'était pas le cas, comme le père d'Augustin, sa mère... sa mère existait, mais à peine. Là il s'agissait de savoir d'où ils parlaient.

Ce débat m'a passionné, parce qu'il m'a surpris. À partir de ça, pendant un an j'ai beaucoup lu, écouté. Pas dans le cadre d'un travail sur une bande dessinée, je ne pensais pas encore à la faire, mais parce que j'avais un intérêt véritable là-dessus. J'ai été tellement surpris par l'ampleur du débat que tout à coup... on ne pouvait que s'y intéresser. Et quand j'ai construit les personnages, je me suis demandé d'où ils parlaient.

La mère d'Augustin par exemple avait ce côté 'culture religieuse un peu conservatrice'. Elle se dit « Je ne peux pas accepter cette situation-là parce que l'homosexualité c'est mal. » Une sorte de culture catholique, qui a ce problème-là sur le sujet. Mais en même temps elle a un amour sincère et incroyablement fort pour son fils. Elle n'arrive pas à comprendre qu'elle est dans le rejet de ce qu'il est. Ce paradoxe-là me passionnait.

Après il y a son père, un personnage qui m'intéressait beaucoup. Il prétend ne pas être en rejet, mais il a un discours presque pire que celui de son ex-femme.

De toute façon, le discours se construisait à partir de pleins de choses qui ont été dites, j'y fais référence ouvertement. L'intervention de Jospin, le discours de Taubira à l'Assemblée Nationale, le texte de Virginie Despentes... Les personnages vivent des éléments du débat.

Dans l'un des intermèdes, la soeur de Romain explique qu'il partageait avec elle beaucoup de sites, des articles sur la situation en temps réel, parce qu'il voulait qu'elle comprenne, elle. Pour votre part, à qui aviez-vous surtout envie de vous adresser en écrivant Romain et Augustin ?

À tout le monde. Justement, c'est ce qui a été impressionnant avec ce débat. Parce que du point de vue de ceux qui sont favorables, par exemple de mon point de vue, c'était une promesse de campagne, il n'y avait pas de surprise,. C'était normal que ça soit fait, ça allait être réglé rapidement.

Et puis on s'est rendu compte que tout le monde avait quelque chose à dire. C'est une question qui ne cesse de m'interpeller parce qu'à la fois je la comprends, et en même temps je ne la comprends pas du tout. Tout à coup on intervient dans ce qui ne nous concerne pas. C'est le paradoxe qui m'intéresse chez les opposants.

D'un autre côté, pour les gens qui étaient favorables mais qui n'étaient pas forcément concernés, c'est devenu un sujet important. Parce que c'est le sujet du progrès social, de la liberté, de l'égalité. Toutes ces questions là.

Et puis c'est aussi universel, parce qu'on parle d'une histoire d'amour. Romain et Augustin dans 10 ou 20 ans, ça sera la même bd qui pourra s'appeler Jean Jacques et Jocelyne, ou Anna et Isabelle. C'est finalement aussi rappeler que cette histoire-là, c'est juste deux personnes qui s'aiment, et que c'est la comédie du mariage, la comédie de l'amour. Ce sont des histoires vieilles comme le monde et qui seront toujours modernes parce qu'elles parlent à chacun de nous.

Même si la situation est loin d'être apaisée encore aujourd'hui, elle était vraiment particulièrement tendue au moment de la publication sur le site du Nouvel Observateur cet été. Avec internet il y a toujours une instantanéité, et avec la violence de la situation, quels retours avez-vous eu du public au fil de la publication ?

Pendant l'été, on a d'abord eu des retours très violents. Parce qu'ils sont très mobilisés. Et puis sur Internet il y a toujours cet effet-là, c'est celui qui critique qui parle le premier. Puis ils se sont lassés, puisque de toute façon l'histoire s'écrivait.

En fait il y a eu trois temps. Le temps de l'opposition massive 'Oui c'est encore le lobby LGBT. La dictature socialiste, avec la complicité du Noubel Observateur, essaie de faire de la propagande'. C'était assez ridicule, mais relativement prévisible. Puis le temps de la lecture, et dans un troisième temps le temps du soutien. C'était presque celui du témoignage des lecteurs qui nous disaient 'Ça me fait penser à ce que je vis, ça résonne avec ce que j'ai entendu, ça me donne envie de faire certaines choses, ça me touche.' Parce que c'est une histoire d'amour qui peut résonner sur toute la question du couple, de la famille, de la projection dans une histoire d'amour, de comment on s'imagine...

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