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par John Kay - le 9/06/2014
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par John Kay - le 9/06/2014

Viré de Fluide Glacial, Yves Frémion s'explique [MÀJ]

Après 39 années de bons et loyaux services au sein du magazine Fluide Glacial, Yves Frémion, critique, écrivain et ancien député européen, quittait en février dernier la publication cofondée par Marcel Gotlib. Pour profiter d'une retraite bien méritée ? C'est ce qu'on croyait.

Âgé de 66 ans, le créateur de la rubrique “T'ar ta lacrém” s'explique aujourd'hui sur son éviction contrainte et forcée et parle d'un “licenciement déguisé” le privant d'indemnité chômage. Un discours loin de l'esprit “Umour et Bandesssinées” cher à Fluide Glacial… Retrouvez ci-dessous l'intégralité de la lettre diffusée par Yves Frémion.

Mise à jour

En commentaire, Yan Lindingre, rédacteur en chef de Fluide Glacial, apporte un éclairage nuancé sur le départ d'Yves Frémion et déplore que l'auteur “était le seul collaborateur qui a systématiquement refusé toute discussion avec la rédaction”. Un tout autre son de cloche.

LETTRE D'YVES FRÉMION 

Il m'est pénible de faire cette mise au point mais je le dois. Désolé d'être long, mais c'est pour être précis.

Jusqu'ici je n'ai pas souhaité communiquer sur mon éviction de Fluide Glacial le 1er février dernier, mais la propagation sur certains réseaux ou dans certaines publications – donc dans l'opinion et la profession – de rumeurs délétères me concernant et concernant cette affaire, m'y contraignent. Ces rumeurs sont émises parfois en réponse aux questions légitimes de certains lecteurs, professionnels ou simples fans, étonnés de la rapidité de ce départ et de l'absence de toute explication dans le magazine.

Le bruit court, y compris dans le magazine et les réseaux sociaux, qu'à l'image de mon ami Bruno Léandri, j'aurais quitté ce journal (après 39 ans de collaboration régulière sans aucune interruption), de mon plein gré et pour « prendre ma retraite ».  Or :

1 – A l'heure où j'écris ces lignes je n'ai pas pris ma retraite, même si j'y suis désormais contraint, car Pôle-emploi a bien entendu rejeté toute demande d'indemnité pour quelqu'un qui « a l'âge de prendre sa retraite ». Désormais sans aucun revenu régulier, je n'ai plus le choix. Ai-je besoin de dire que cette retraite sera dérisoire et ne me permettra même pas de payer mon loyer ?

2 – Plusieurs de mes camarades « fluidosaures » (= ceux qui travaillent dans ce canard depuis les 100 premiers numéros) ont pris leur retraite dans les années précédentes. Tous sans exception continuent à travailler au magazine, payés en droits d'auteur et non plus en salaires comme cela est autorisé par la loi. Bien qu'ayant choisi la formule « clause de cession », un autre célèbre rédacteur figure toujours au sommaire de chaque numéro.

3 – Je n'ai pas souhaité quitter ce magazine et ne suis pas parti de mon plein gré. Ceci malgré des divergences avec le nouveau rédacteur en chef sur ma collaboration.

4 – Me renseignant sur les conditions d'une retraite à venir, j'ai été informé par la DRH du groupe Flammarion qui possède le magazine, que j'aurais en ce cas droit à une « indemnité de départ » de 5 mois, soit 5 fois mon dernier salaire. Dans le même temps, j'ai appris que le récent rachat du groupe Flammarion par Gallimard me permettait, comme certains fluidosaures avant moi, de bénéficier de la « clause de cession », une disposition particulière aux journalistes en cas de rachat, qui leur permet de partir dans les mêmes conditions que lors d'un licenciement. Quand on a l'ancienneté qui est la mienne, cela ne fait pas la même somme à toucher (mon meilleur salaire mensuel multiplié par le nombre d'années, soit 38). Mon intérêt était évident : choisir cette solution, quitte à rester absent quelque temps des pages du magazine, plutôt que de me contenter des 5 mois de salaire.

5 – M'en étant ouvert au rédacteur en chef et à l'éditeur des albums, tous deux m'ont alors vivement prié de n'en rien faire, étant donné le fragile équilibre du magazine (qui a géré d'autres départs et quelques procès en cours). Très attaché à ce journal, j'ai donc cherché une solution qui satisfasse les deux parties. Sachant qu'une fois ma retraite prise, rien, à aucun moment, n'obligerait la rédaction à me garder, il leur suffirait de cesser de me publier (sans indemnité cette fois).

6 – J'ai donc proposé officiellement de ne pas prendre la « claude de cession » mais une retraite simple. En échange, j'ai demandé que l'on m'assure la suite de ma collaboration et qu'une augmentation compensatoire soit mise en place afin que je ne sois pas perdant sur toute la ligne. Ainsi, pas de déséquilibre brutal dans les finances du magazine.

7 – En parallèle, lors de discussions avec le rédacteur en chef, j'avais même avancé l'idée de réduire ma participation, par exemple en « vendant » le concept de la « Gazette de Frémion » avec ses fameuses marges (prétexte mensuel au bouclage et seul lien constant entre les collaborateurs). Depuis quelque temps, cette Gazette ne me ressemblait plus, repensée derrière mon dos tous les mois par le rédac' chef, avec des dessins parfois refusés par moi, ou un retour malsain du « pipi-caca » dont l'image de Fluide s'était défaite depuis un quart de siècle. Cette solution aurait arrangé tout le monde et la rubrique serait devenue la « Gazette de Fluide » ou la « Gazette de Lindingre », je n'aurais plus apposé mon nom sur des choix qui n'étaient pas les miens.

8 – La réponse à mes propositions, après un long silence de tous les intéressés, m'a été faite par téléphone, par la DRH de Flammarion. C'était un rejet de mes propositions, « la direction et la rédaction étant unanimes » à ne pas souhaiter que je poursuive ma collaboration, dans aucune des deux hypothèses » – c'est-à-dire même en cas de départ normal à la retraite. Il s'agissait donc bien d'un licenciement déguisé, et il ne me restait plus qu'à opter pour la « claude de cession », ce que j'ai fait aussitôt. La procédure (un arbitrage) est en cours. 

Voilà donc fidèlement restitué les faits.

Cette éviction amène quelques commentaires. 

- C'est la première fois dans l'histoire du magazine qu'un collaborateur historique (« fluidosaure ») en est éjecté. Le licenciement d'Eric Deup, collaborateur plus récent, s'était fait sur un conflit ouvert, actuellement devant la justice, et suite à de longues explications et surenchères. Cette fois, un tabou a sauté, et nul, fluidosaure ou pas, n'est désormais à l'abri.

- Après près de 40 ans de fidélité, il semble qu'une telle décision méritait, au minimum, un entretien personnalisé, ou d'être annoncée par la rédaction et/ou la direction à l'intéressé. Il semble que quelques paires de couilles soient restées au placard.

- Si l'on en croit son « ours », à Fluide, « la direction » c'est un directeur (avec qui je n'ai à ce propos eu ni entretien, ni contact, ni discussion) ; « la rédaction » c'est un rédacteur en chef et deux rédacteurs en chefs adjoints. 50 % de ces derniers m'ont affirmé n'avoir jamais été informés de cette éviction, découverte seulement à la lecture mon courrier à mes camarades de l'équipe. Le rédacteur en chef clame partout que « Frémion pouvait parfaitement rester » mais qu' « il a pris sa retraite et a quitté le journal ». On peut donc s'interroger sur QUI a réellement pris la décision.

- Je ne pensais pas, dans ce pilier de ce qui a été la presse alternative et courageuse des années '70, dans le « journal de Gotlib », voir arriver un jour des pratiques dignes de la pire presse commerciale avec ses méthodes managériales ultralibérales. J'avoue avoir été surpris.

- De nombreux auteurs extérieurs, dans les mois qui ont précédé mon éviction, se sont vus solliciter pour occuper des « pages qui allaient se libérer bientôt ». Une grande partie des collaborateurs de Siné mensuel, par exemple, ce journal satirique devenant le nouveau modèle de Fluide. Cette éviction a donc été préparée de longue date. L'esprit gotlibien disparaît, alors qu'il a été depuis toujours le garant du succès de la revue (ainsi que je l'ai dit lors de mon pot de départ, qui se voulait une alerte aux amis et à la revue entière).

Je ne ferai aucun commentaire sur l'évolution récente de Fluide. Ce n'est pas que je sois sans avis. J'ai été embauché dans ce magazine fin 1975 par Gotlib lui-même (que son nom soit béni jusqu'à la fin des temps). Un cadeau qui dure la moitié de la vie, comment ne pas mesurer la chance d'en avoir été le bénéficiaire ? J'y ai fait ce que j'ai voulu, nul ne m'a jamais donné ni ordre ni consigne (sauf les derniers mois) et, si j'en crois mon courrier, mes mails et les coups de fil, je crois avoir marqué de ma petite pierre ce journal, l'histoire de l'humour et la culture populaire. 

Je vais continuer ma rubrique ''T'ar ta lacrém'', unique au monde, très lue à l'étranger et que bien des éditeurs souhaitent éditer en volumes. Ceci même si aucun support ne se propose de la publier en feuilleton. Une telle encyclopédie mérite d'aller au bout. Merci à tous ceux qui s'en sont inquiétés et surtout aux messages de sympathie (et d'indignation !) que vous envoyez.

Ne comptant pas m'étendre plus sur cette affaire, je me tiens néanmoins à la disposition de ceux qui auraient des questions. Vous pouvez bien sûr faire état de tout ceci où vous voulez, réseaux sociaux compris.

Bien à vous tous. 

Yves Frémion

Ci-dessous, la réaction de Yan Lindingre, rédacteur en chef de Fluide Glacial, postée initialement dans les commentaires de la news.

RÉACTION DE YAN LINDINGRE

Désolé, mais cette [lettre] de Frémion est un tissu de mensonges. Frémion était le seul collaborateur qui a systématiquement refusé toute discussion avec la rédaction. Il n'a fait que ce qu'il voulait, et souvent du pas bon. Résultat, un travail bâclé à réécrire par nos soins. Cela dit, il serait toujours en poste à distiller ses litanies (sur 7 pages chaque mois tout de même) s'il n'avait pas souhaité partir. Il nous a donc quittés de son plein gré. S'il affirme encore le contraire, je lui fais un procès. Dire que j'ai viré des gens, c'est de la diffamation. Il avait un besoin urgent de liquidités pour des raisons personnelles, et a donc réclamé le beurre et l'argent du beurre. Pour ma part, je considère qu'un rédacteur aussi peu coopératif et aussi peu motivé, s'il souhaite prendre sa retraite, qu'il la prenne, mais qu'il n'exige pas de rentrer par la fenêtre. Sortir un journal de l'ornière n'est pas tâche facile et c'est mon boulot. Avec un boulet comme Frémion, qui rame à contre-courant, si tant est que les boulets rament, c'est encore plus difficile. Tout le monde a retroussé ses manches, sauf lui. A sa place officient aujourd'hui Felder et Cizo. Tant mieux.

Y.Lindingre

Photo © Fluide Glacial.

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