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par Elsa - le 18/02/2014
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par Elsa - le 18/02/2014

Angoulême 2014 : l'interview de Mathieu Bablet (Adrastée)

Vous l'aurez sans doute déjà compris, Mathieu Bablet fait partie de ces auteurs coups de coeur de toute la rédaction de 9èmeArt, et dont vous n'avez pas fini d'entendre parler. Un univers à part, des récits contemplatifs pleins d'intelligence et de poésie, et un graphisme à couper le souffle sont quelques uns des ingrédients qui font la qualité de ses bandes dessinées. 

Après le remarqué La Belle Mort au Label 619, il nous a régalé du diptyque Adrastée, voyage solitaire dans la mythologie grecque.

En plus de sa participation à la troisième quotidienne vidéo, nous avons profité de sa présence au festival d'Angoulême pour poser à Mathieu Bablet quelques questions sur son travail, et l'univers d'Adrastée.

Peux-tu nous raconter ton parcours ?

Je crois que j'avais prévu d'être dessinateur dès l'âge de sept ans, je veux faire ça depuis tout petit. Après avoir terminé le lycée, j'ai fait une école d'Art Appliqué à Chambéry, qui est une petite ville pas très loin de chez moi. C'est une école qui dispensait un peu toutes les formations de base en dessin animé, illustration, bande dessinée. Mais j'avais toujours pour objectif de faire de la bd.

C'est à ce moment-là que j'ai découvert Ankama avec les premiers Mutafukaz. J'ai vu qu'on pouvait faire de la bd différemment, avec un format un peu particulier, des histoires qui ne rentrent pas dans les codes de la bd traditionnelle, qu'on avait l'habitude de lire.

Une fois mon diplôme en poche, après trois années d'étude, j'ai monté tout doucement un dossier pour La Belle Mort, spécifiquement pour Ankama. Il m'a fallu un peu de temps pour écrire l'histoire. Il n'y avait pas de formation dans mon école pour écrire des scénarios. Une fois le dossier envoyé, ça a marché tout de suite. Ça a intéressé RUN qui était en train de monter le Label 619. Après ça a roulé tout seul.

Comment raconterais-tu Adrastée en quelques mots ?

C'est un récit initiatique sur un homme immortel qui voudrait savoir pourquoi il a ce pouvoir-là, d'autant plus qu'il le vit comme une malédiction.

Comment est née l'idée de cette histoire ?

À la base, je voulais faire quelque chose dans la mythologie grecque, c'est quelque chose qui me plait depuis que je suis gosse. J'aime beaucoup le bestiaire, tout ce qu'il y autour. Mais je ne voulais pas faire une transposition d'un récit qui existe déjà. Ne pas réécrire l'Illiade, l'Odyssée, etc. Je voulais ma propre histoire. Et comme j'aime bien les personnages errants, qui se posent dix mille questions, j'ai eu l'idée de cette personne immortelle pour faire, en plus du voyage, tout un travail sur ce qu'est la mémoire, la mortalité etc. Quand on mélange tout ça, on tombe sur Adrastée.

Comment s'est passé ton travail sur ce titre ?

D'abord, il y a eu une phase où j'ai dû lire et relire pas mal de bouquins sur la mythologie, pour ne pas raconter n'importe quoi et être un peu crédible. J'ai tout écrit en amont, parce pour que La Belle Mort, qui était ma première bd, ça a été un peu chaotique. J'écrivais et je réécrivais des trucs pendant la bd, et au final ça n'est pas viable, il faut que ça soit fluide d'un bout à l'autre. Du coup j'ai tout écrit, puis tout storyboardé, du début du tome 1 jusqu'à la fin du tome 2. Je pense qu'il le fallait, puisqu'il y a une vraie correspondance entre le début et la fin. J'essaie d'avoir une méthode à peu près carrée, pour ne pas partir dans tous les sens, parce que c'est vraiment le truc que je maitrise le moins pour l'instant.

Justement, tu parlais de tes lectures. As-tu effectué un gros travail de documentation ?

Oui. Du plus classique. Quels sont les dieux de l'Olympe, leurs relations entre eux. Pour définir des caractères et que ça ne soit pas que des enveloppes vides.

Des trucs un peu plus compliqués, pour être crédible sur le voyage que va faire le héros. Je voulais qu'il vienne du nord, d'Hyperborée, et qu'il traverse des grandes cités qui ont existé à l'époque. Pour le coup elles ne ressemblent pas, mais je voulais que géographiquement, le voyage se tienne de bout en bout. Il part d'Hyperborée, et va jusqu'au Péloponnèse, la porte des Enfers. Essayer d'être crédible là-dessus.

Je me suis documenté sur les personnages et les créatures, mais absolument pas sur l'architecture, parce que je voulais une architecture complètement fantastique, qui ne soit pas limitée par un carcan historique.

Qu'est ce qui te parle dans la mythologie grecque et t'a donné envie d'y placer ton histoire ?

C'est vraiment la richesse des personnages et des créatures. Je voulais un monde fantastique. Et dans la mythologie grecque, ce qui est bien, c'est qu'en plus d'être fantastique, ce monde est extrêmement écrit. Du coup il est crédible. Chaque créature est parente de deux autres créatures. Chaque dieu ou déesse a un père, une mère, qui ont vécu des aventures. Je trouve ça tellement riche que ça m'intéressait de piquer un petit bout de tout ça pour le faire à ma sauce.

Tu parlais des décors tout à l'heure. Ils occupent une place très importante dans ton récit. Quelles ont été tes sources d'inspirations pour les imaginer ?

Mes voyages. J'essaie de pas mal voyager.

Clairement, tout le début, l'Hyperborée, c'est inspiré de palais qu'il y a en Inde. Tout le passage dans la végétation est inspiré du Machu Pichu, au Pérou. Ce sont tous ces voyages, les photos que je fais, les images que j'ai en tête qui me permettent d'avoir cette inspiration-là.

Quels techniques et outils as-tu utilisé sur ce titre ?

C'est plutôt tout bête. Pour ce qui est du dessin, je dessine à la mine bleue pour faire le crayonné, et j'encre au critérium, au crayon HB. Parce que je suis très mauvais en encrage traditionnel, aux encres etc. J'ai tendance à avoir le poignet crispé, ça se voit d'ailleurs sur La Belle Mort, à avoir un trait qui n'est pas très souple. Et donc là en faisant mon encrage au crayon, je trouve que je gagne un peu en souplesse.

Et la couleur, c'est du Photoshop, en utilisant des brush que je me suis fait pour avoir un aspect presque traditionnel. Et en mettant par dessus un calque de texture pour avoir un effet un peu aquarellé.

Justement, en ce qui concerne tes couleurs, ce sont toujours des ambiances très fortes.Les as-tu en tête en dessinant, ou cherches-tu ensuite ?

Je les ai déjà en tête, je n'ai pas besoin de chercher quand je commence à me mettre à la couleur. Généralement elles viennent tout de suite. Même s'il y en a que j'aime beaucoup utiliser. Le bleu, le orange, le vert, reviennent souvent.

Souvent pour une grande case de toute une séquence, je me dis « Celle-ci je la verrais bien avec telle lumière, telles ombres, telle ambiance. » Ensuite je travaille ma case à fond, et elle est le référent pour toute la séquence qui correspond à la couleur. Et je fais ça pour tous les blocs de couleurs de la bd.

Que ce soit dans la Belle Mort ou Adrastée, il est question de voyage, de cheminement. Pour toi le voyage en lui-même est-il plus intéressant que le but ?

Oui. C'est même un dicton je crois 'Ce n'est pas le but qui compte, c'est le voyage pour y arriver'. C'est bien sûr ça. Et toute la difficulté est de rendre ce voyage intéressant, et qu'il ne paraisse pas vain à la fin.

Le but en soi est une évidence. Si on racontait la fin d'Adrastée maintenant, c'est un aller-retour au final. C'est tout ce qui se passe entre qui est super important.

Et du coup comment l'as-tu travaillé. Tu avais ton début et ta fin, puis tu as construit le cheminement ?

Oui c'est ça. Systématiquement, pour les deux histoires que j'ai écrites, j'avais effectivement le début et la fin. Là c'était d'autant plus facile qu'il y a une correspondance entre les deux, j'avais même la case de début, et la case de fin.

Après j'ai plus ou moins une trame principale. Je savais qu'il allait devoir aller au Mont Olympe, qu'il allait être déçu et se rendrait aux Enfers. Mais tous les autres modules, toutes les autres rencontres se rajoutent par la suite, et chacune a une fonction.

La Sphynge, c'est pour parler du père, et de la notion d'hérédité, qu'on retrouve ensuite dans le tome 2 quand il est au théatre. Chaque module a une fonction et apporte quelque chose à l'histoire.

Tel que je l'ai ressenti dans tes deux bd, il est aussi question de survivre à ceux qui s'en vont, et de continuer à avancer. Qu'est ce qui te donne envie d'aborder cette problématique ? Le deuil, le cheminement solitaire...

C'est quelque chose qui me touche personnellement, dans mon histoire, et du coup j'ai envie de l'aborder. Et effectivement je le fais à chaque fois de matière solitaire, alors que le deuil n'est pas forcément quelque chose de solitaire.

C'est libérateur de l'exprimer.

Maintenant qu'Adrastée est terminé, quels sont tes prochains projets ?

Je me mets sur un récit de science fiction. Normalement ça devrait être en deux gros tomes. J'avais envie de changer d'univers. C'est pour ça que je ne fais pas de longues séries, uniquement des volumes par un ou deux. Changer à chaque fois d'univers pour essayer de nouvelles choses.

Là ça sera donc de la science fiction. J'aime le côté contemplatif, donc l'accent sera surtout mis sur notre rapport à l'espace et au fait qu'on est des êtres humains sur une petite planète insignifiante au milieu de l'Univers. Toujours ce rapport des hommes par rapport au monde dans lequel ils vivent.

Tu as déjà avancé dessus ?

De mon côté j'ai pas mal avancé, j'ai presque fini en crayonné le premier tome. Je dois en discuter avec RUN pour réfléchir à la forme. Faire signer des projets en ce moment, c'est compliqué.

Et ça sera au Label 619.

 

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